Chapitre VI – (extraits milieu et fin)
Le quatrième jour, je ne fais même plus l’effort de me lever, ni de m’alimenter. Je suis brisée.
Carole arrive en milieu d’après-midi, accompagnée de mon ami Dominique, médecin généraliste. Il rentre, enfin, de régates à l’enjeu national.
Dominique m’examine. Je vois à sa mine -- pour le moins funèbre -- que mon cas est sérieux.
- Dom, dis-moi tout, c’est grave ?
- C’est sérieux. Tu as une hémorragie méningée, au mieux.
- Et au pire ?
- Une rupture d’anévrisme.
- Je dois envisager une issue qui pourrait être fatale ?
- Je ne peux, honnêtement, t’affirmer le contraire.
- Merci Dom. Cela me permet de prendre des précautions importantes et urgentes.
Aussitôt, j’appelle ma sœur, pour lui parler de ce qui m’arrive.
- Prépare maman en douceur. J’aimerais qu’elle aille à la maison auprès de Rodolphe, au cas où…
Ma sœur se met en colère :
- Tu racontes n’importe quoi, tous les prétextes te sont bons pour obliger maman à aller garder ta maison !
J’ai la mort dans l’âme, mais peu d’arguments pour lui prouver le contraire et je n’ajoute rien à cela. C’est trop injuste, mais qu’y puis-je ?
Je prends un léger bagage et suis Dom, qui me conduit à l’hôpital de Lanvion, ville proche de Saint-Guirec, pour des examens préliminaires. Ils confirmeront, ou non, son diagnostic. Je ne me fais aucune illusion : c’est un très bon médecin, il aura raison, totalement raison, au delà de toute espérance !
Arrivée à l’hôpital, je suis prise en charge tout de suite. Foin des préliminaires de la paperasserie, mon cas est considéré comme assez grave pour passer aux examens médicaux, d’emblée.
- Nous allons vous faire un scanner et une ponction lombaire.
- Pour le scanner, il n’y a aucun souci, répondis-je, mais pour la ponction lombaire, j’ai des crises qui tétanisent tout mon corps et quand cela m’arrive, je ne suis plus maîtresse de mes mouvements.
-Rassurez-vous, nous aviserons en conséquence, pour la ponction lombaire.
Le scanner se déroula sans anicroches. Mais il était d’une qualité insuffisante pour un diagnostic précis.
Je suis alors préparée pour la ponction lombaire. Je signale, à nouveau, ce problème de rétraction, de tétanisation de tout mon corps. L’infirmier, qui est présent, me dit que nous allons trouver une solution. Il me propose de s’accrocher à lui, en l’entourant de mes bras, comme il m’entourerait, lui, de la même manière. Ainsi mon corps serait bloqué, immobilisé et je ne risquerais rien, au moment de l’introduction de l’aiguille.
Je me mets donc dans la position prescrite. Et, comme prévu, une crise, comme tétanique, me prend de la manière récurrente dont j’avais l’habitude. L’aiguille est introduite et une souffrance atroce m’envahit. Je n’en étais plus à une sensation de ce genre près, aurait-on pu penser ! Mais si, hélas !
Je suis à nouveau couchée dans un lit de fortune : il y avait affluence aux urgences de l’hôpital.
Une femme médecin s’approche :
- Vous avez bien une hémorragie méningée. Le liquide méningé empoisonne tout votre corps, c’est pour cela que vous avez ces crises de douleur. Le résultat du scanner est moins probant, mais il y a suspicion de rupture d’anévrisme.
- Eh bien je suis gâtée !
- Vous n’avez pas peur ?
- De quoi ? dis-je, de mourir ? Ai-je le choix ?
La femme médecin rougit et ne répond rien, à cela.
- Nous ne sommes pas en mesure de vous soigner, nous n’avons pas le service médical adapté. Où désirez-vous être dirigée, sur Vennes ou sur Grest ?
Grest, je trouve cette ville angoissante, reconstruite à hue et à dia. Mes parents, qui l’avaient connue avant la guerre, m’en avaient fait un portrait si vivant, que je m’y étais rendue : déception terrible. Un tracé de rue au carré, une reconstruction sans âme, une couleur de bâtiment uniformément grise. Pas vraiment ce qu’il faut pour une résurrection ! A Vennes, j’avais un ami médecin, spécialiste de la greffe de foie. Alors, si j’en réchappais, autant choisir cette option.
Va pour Vennes !
Je suis embarquée dans une diligence, pardon dans une ambulance. Pas de première jeunesse. J’étais encastrée dans une espèce de gouttière, étroite en diable, pas confortable pour deux sous.
La conduite est hasardeuse, chaotique, assez peu confortable. La route est mauvaise, j’en paye, directement, les conséquences ! Au-dessus de moi, un support, avec deux flacons de perfusion, en verre, auxquels je suis reliée par intra veineuse. Ces flacons s’entrechoquent, désastreusement.
J’appelle les ambulanciers :
- dites-moi, je veux bien mourir de ce dont on m’accuse -- en l’occurrence une rupture d’anévrisme -- mais j’aimerais arriver sur la table d’opération sans cicatrices au visage !
- Quelles cicatrices ?
- Celles qui ne risqueront pas de se produire si les flacons de verre qui se balancent, dangereusement, et se cognent au-dessus de moi, finissent par éclater sur ma bobine, en s’incrustant, façon squatters !
La compagne de l’ambulancier se glisse jusqu’à moi, entoure les flacons de morceaux de tissu, pour éviter un éclatement.
- Vous avez encore le cœur à plaisanter, avec ce qui vous arrive !
- C’est tout ce qui me reste et je suis née avec un incurable sens de l’humour, quelle que soit la situation dans laquelle je me trouve, tragique ou comique, désolée !
L’ambulancière lève les yeux au ciel. Manifestement j’étais un cas, incompréhensible pour elle.
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