lundi 23 février 2009

D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap V – (extraits)

Chapitre V – (extraits de début et de fin)

Le lendemain matin, grand bleu, le soleil est éclatant, la mer, au loin, est turquoise. Belle journée pour mes projets de bricolage.
Petit déjeuner bien consistant sur la terrasse. Pauline a sorti tables et chaises.
- Margot, j’irai bien dîner à la Taverne ce soir, qu’en penses-tu ?
- J’en pense, ma chère Pauline, que c’est une excellente idée.
- On appelle Franck et aussi Pierre-Henri, car il est seul ce soir, sa femme et son fils sont à Paris chez une amie.
- Bien sûr Pau, plus on est de fous… Tu te charges de la réservation de la table.
Franck et Pierre-Henri sont de vieux copain, le premier est un célibataire endurci, qui nous emmène souvent à la pêche sur son bateau et le second est dentiste, marié et père d’un charmant jeune garçon, serviable et très bien élevé. Il a une femme qui est un remarquable "cordon bleu" et les dîners chez eux sont de véritables délices pour les "fines gueules".
La taverne, comme son nom l’indique peut-être, est un endroit à l’irlandaise, parfaitement enfumé, bruyant, animé, sombre. Il y a un coin "tables", où se retrouvent les habitués, pour des repas à plat unique, certains soirs, changeant selon l’humeur et l’inspiration du "tavernier chef". C’est plutôt bon, en général et l’endroit est sympathique. On est certain d’y retrouver les amis qui vivent en Bretagne à l’année, où ceux qui y séjournent ponctuellement. C’est un lieu de rendez-vous informel. Cette taverne est située dans une petite bourgade, voisine de Saint-Guirec.

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- Pauline n’est pas avec vous ?
- Elle est là sans l’être, n’est-ce pas Franck.
Franck rit mais ne répond rien.
- Là et pas là, que veux-tu dire ?
- Qu’elle est près de nous, écroulée dans ma voiture et qu’elle a commencé sa nuit !
- Comment cela ?
- Elle a un peu forcé sur le "pastaga", en t’attendant, interfère Franck en souriant.
-Ah bon, alors tant pis pour elle, nous dînons.
Le repas se passe bien, même sans ce "boute en train" de Pauline. Franck a beaucoup de connaissances et Pierre-Henri nous raconte les anecdotes cocasses de son cabinet dentaire.
Ce sont d’agréables compagnons et j’en oublie presque mon mal de tête, à les écouter parler. Plaisanteries habituelles, vieux souvenirs qu’on égrène, le temps passe vite en leur compagnie.
Dessert fini, notre "Tavernier" vient s’asseoir à notre table et me dit qu’une amie me cherche, qu’elle m’attend près de la cheminée, si je veux aller la retrouver.
C’est une fille que j’avais perdue de vue depuis de longues années, sympathique et drôle. J’abandonne un instant les garçons et me dirige vers le fond de la pièce. Elle m’accueille d’un :
- Salut ma vieille, je suis heureuse de te revoir.
Nicole n’a pas changé, toujours aussi chaleureuse. Nous parlons de choses et d’autres, elle de son divorce et de son remariage, moi de mon fils.
Concernant mon propre divorce, je ne tiens pas à aborder cela avec elle, mais elle entre carrément dans le vif du sujet. Force m’est faite d’engager la conversation sur ce thème, de parler de mon ex époux (qu’elle a l’air de connaître mieux que je ne le pensais) et de choses du passé que je tenais à rayer de ma mémoire, ou à ranger dans des cases du cerveau bien hermétiques.
Tout est passé en revue, mon mariage, la naissance et la mort de ma fille, le mal que nous avons eu à avoir un deuxième enfant, la naissance de mon fils, le départ de son père me laissant seule avec mon nouveau-né. Elle sait tout, sur tout, elle raconte à ma place.

Et elle parle et elle parle ! Cela remue en moi des tas de souvenirs enfouis et me bouleverse un peu !
Et tout à coup… c’est le chaos ! Quelque chose a craqué dans ma tête, dans mon corps. Je suis dans le coton, je n’entends plus grand-chose, les bruits sont amortis et me parviennent comme des murmures inaudibles. Je vois la bouche de mon amie articuler des paroles, mais aucun son n’arrive plus à mes oreilles.
Une souffrance fulgurante envahit mon corps, tous mes membres deviennent douloureux. Mon dos est raide, j’ai dû mal à bouger. Chaque mouvement est un effort. J’essaye de murmurer une vague excuse et je fuis mon interlocutrice, pour rejoindre mes amis à notre table.
- Franck, Pierre-Henri, il vient de m’arriver quelque chose de grave. J’ai l’impression que j’ai une hémiplégie, emmenez –moi chez le médecin, je souffre trop.
L’un et l’autre essaye de me rassurer, avec des paroles apaisantes, en vain
-Sortez-moi d’ici, vous dis-je et emmenez-moi chez Dominique. C’est un ami commun qui est médecin généraliste à Saint-Guirec.
Mes deux amis semblent enfin réaliser qu’il m’arrive un "pépin".
Nous partons dans la voiture de Pierre-Henri. Chaque geste est pour moi un véritable calvaire. Marcher, m’asseoir, bouger un bras, un doigt… C’est à chaque fois une douleur effroyable.
Nous arrivons chez Dominique, non à son cabinet, mais à son domicile. Chaque pas sur le sol inégal est un effort terrible pour moi. J’ai l’impression d’être un pantin, désarticulé.
La femme de Dominique, que nous réveillons, nous ouvre, en tenue de nuit et nous dit qu’il est absent, parti pour une régate de trois jours. C’est un passionné de voile, il y consacre tous ses loisirs.
Nous repartons donc et je me déplace tant bien que mal et plutôt très mal que très bien.
Pierre-Henri m’emmène chez le médecin de garde. Avec Franck et lui nous attendons assez longtemps en salle d’attente. Le médecin me fait entrer dans son cabinet, m’examine.
- Ce n’est pas grand-chose, une simple douleur cervicale, une entorse très probablement. Je vous prescris ce qu’il faut et dans un jour ou deux, il n’y paraîtra plus.
Je suis un peu sceptique, à ce sujet, mais c’est lui le médecin, pas moi. Il me faut donc le croire sur parole.
Nous repartons donc, en trio, vers la pharmacie de garde. Je souffre toujours affreusement, à chaque geste, mais me serais fait tuer sur place, plutôt que me plaindre aux garçons. Ils me prendraient pour une douillette. Comment expliquer une douleur pareille !

- Mon Dieu, et Pauline !
Nous nous regardons, atterrés. Elle est enfermée dans ma voiture depuis 9 heures du soir et il est…2 heures du matin !

vendredi 20 février 2009

D’une vie à l’autre ou rupture…(Chapitre II - extraits)

Chapitre II

C’était en 1993, juin 1993. Quinze ans se sont écoulés, déjà ! Je me revois quelques semaines avant l’accident. Alerte, vive, toujours en ébullition, pas le temps de m’arrêter, efficace, bien rodée, mais "spidée, stressée", comme l’on dit dans le jargon du métier. J’étais devenue styliste de publicité, relations publiques, attachée de presse, après avoir été décoratrice et architecte d’intérieur. Le terme de "styliste", en "pub", équivaut à : accessoiriste, pour films ou photos. En quelque sorte, garçon de course de luxe. Bien rémunéré, mais traitement d’esclave, corvéable et taillable à merci, tout le temps de la mission.
Je me gourmandais intérieurement, quelques jours avant le "clash" …
- Et voilà, pensais-je, je viens, une fois de plus, d'accepter de travailler pour trois agences en même temps.
J’étais furieuse contre moi-même, car je ne devais m'en prendre qu'à ma propre bêtise.
- Bougre d’idiote, il fallait refuser !
C'était ma faute, uniquement ma faute ! Je ne pouvais incriminer personne d'autre.
- Mais quand donc apprendrais-je, enfin, à savoir dire "non" ?
- De toute manière, pensais-je en matière de consolation, j'ai besoin d'argent et le seul moyen pour m'en procurer, à ma connaissance, est de travailler, travailler et encore travailler.
Mais, de nuits, quasiment blanches, en semaines, sans un seul jour de repos, je finirai par le payer très cher. Je serai bien avancée si je me retrouve clouée au lit : je suis la locomotive, celle qui tire les wagons. Soutien de famille, je ne peux compter que sur moi-même. Si je tombe malade, je ne pourrai plus travailler. Sans travail plus d'argent et sans argent… je n'ose y songer, prise d'angoisse à cette seule pensée.
Deux décors, des costumes, un film, des photos. Je vais devoir terriblement m'investir, surtout pour l'un de ces deux décors. J'ai affirmé savoir faire de la peinture à l'éponge. C'est malin ! Il va falloir que j'apprenne cette technique, totalement inconnue pour moi. Et très vite encore, si je ne veux pas déchoir aux yeux du client. Il m'a accordé une confiance totale, je ne peux la tromper.
- Mais que diable suis-je allée faire dans cette galère ?
Molière me pardonnera, je l’espère, l’emprunt de sa célèbre phrase, arrangée à ma sauce ! Lui-même l’ayant piquée à Cyrano de Bergerac !

La pub, cet univers impitoya-able ! Pourrait-on chanter. Ce n’est pas Dallas, mais, pas loin.
Dans le milieu de la "pub" on peut rencontrer le summum de la goujaterie, comme dans celui de l’immobilier, peut-être, aussi ! Une anecdote, caractéristique, sur une petite aventure qui m’est arrivée, quelques mois auparavant, illustre bien ces agissements. Agissements qui ne font pas honneur à ceux qui les pratiquent !
Je travaillais assez souvent avec l’acheteuse d’art d’une agence assez cotée. L’achat d’art, en publicité, comme son nom ne l’indique pas vraiment, est le service qui s’occupe d’organiser les photos ou les films. Son rôle -- quand l’idée a été trouvée par les créatifs et la maquette ou le scénario, conçus -- est de se mettre en quête du photographe ou du réalisateur, des mannequins, de la styliste, du lieu ou du studio, pour les prises de vue ou le tournage.
J’avais donc été pressentie, par l’achat d’art, pour le stylisme d’une photo, destinée à la campagne publicitaire d’une grande chaîne de radio nationale. Il fallait vêtir une femme et un homme. Rien de bien sorcier. Le photographe choisi, un suisse vivant aux Etats-Unis, était une "star". Entendez : grosse rétribution, grosses exigences pour son séjour, gros caprices pour tout ce qui concernait son travail et le nôtre, surtout.
Nous avions rendez-vous à l’agence pour un premier contact. J’étais dans la plénitude de la quarantaine tout juste passée, grande, mince comme un fil et on me disait plutôt pas mal.
Je mettais, le plus souvent un pantalon, en studio, par commodité de mouvements. Mais, pour ce rendez-vous, j’étais revêtue d’un collant noir, opaque, sous une jupe de cuir noir, tombant juste au-dessus des genoux, d’une chemise d’homme blanche et d’un court gilet noir, genre gilet de smoking, aux parements, rebrodés ton sur ton. Une large pochette de soie, dans la chemise, apportait une note vive et colorée à l’ensemble ! Elle provenait de la rue du Faubourg Saint-Honoré, aux carrés si connus, petits et grands.
J’affectionnais, particulièrement, ces gilets et en possédais toute une collection. C’est devenu, peu de temps après, très à la mode, mais je l’avais précédée, cette mode. Mes vêtements étaient d’un classicisme sans excentricité, provenant de bons faiseurs.
Dès mon entrée dans la pièce où se tenait la réunion, j’ai vu le regard critique du photographe se poser sur moi, sans indulgence. J’étais cataloguée, d’emblée, dans les "ringardes". Il s’attendait à une minette, habillée dans le "look in", en vogue dans ce milieu. Et, j’avais le tort d’avoir 42 ans et un style … bien à moi !
Histoire sans paroles. Toute l’agence avait compris ce que ressentait le photographe pour la styliste, "has been", qu’on lui avait "collée dans les pattes".
Il me brossa un tableau des exigences qui étaient les siennes, pour le stylisme vestimentaire de la photo. Le "top look" ! Je devais faire les recherches, prendre des polaroïds de ce que j’avais trouvé et lui rapporter le tout à son hôtel, le surlendemain matin, pour qu’il choisisse. Je suis repartie de l’agence la mort dans l’âme, humiliée au plus haut point par tous ces jeunes, ces vieilles et vieux "c...
- Au pied le chien, avait dit le photographe et pas de discussion possible, je n’avais qu’à m’exécuter !
J’appelais toutes les maisons de prêt-à-porter de luxe, souhaitées par l’homme de l’art. Elles étaient de plus en plus réticentes -- ces adresses réputées -- pour louer ou prêter leurs vêtements. Tenant à ne pas ternir leur image de marque, pour des pubs comme le saucisson ou le papier toilette, par exemple. Et elles commençaient même à intenter des procès pour faire respecter l’utilisation de leurs griffes, à leur convenance et non à celle des publicitaires.
Heureusement pour moi, cette radio était tout à fait haut de gamme et je tenais donc une argumentation solide, pour plaider ma cause.
Par l’entremise des attachées de presse que je connaissais, j’appelais les directrices et créatrices de mode et leur expliquais l’attitude de ce butor et de l’agence, envers moi.
Les agences de pub n’étaient plus tellement en odeur de sainteté, à cause des abus commis. Aussi, j’obtins, par chance, gain de cause ; une sorte de complicité, contre l’ennemi, s’étant établie entre nous.
Je fis donc mon choix, pris mes photos polaroids de tous les vêtements qui me semblaient les plus adaptés au désir du photographe, pour ses deux mannequins, homme et femme.
Le lendemain, aux aurores, je retrouvais le photographe à son hôtel avec ma prise. Cet hôtel était … le Ritz, en toute simplicité ! Il l’avait exigé et l’agence n’avait eu qu’à s’exécuter.
Monsieur prenait son petit-déjeuner dans sa chambre. Je le saluais, sans qu’il daignât répondre ni me jeter un regard. Et il regarda les photos, les unes après les autres, en le épluchant soigneusement et en revenant plusieurs fois sur certaines. Il prit un stylo feutre, fit une croix sur les vêtements et accessoires, choisis, et me dit :
- Tout ça.
Laconique la star !
Et m’éconduisit d’un geste, comme un "larbin".
Je ravalai ma salive, gardai mon orgueil dans ma poche en mettant mon mouchoir par-dessus et sortis rapidement de la pièce, en serrant les poings de rage et d’humiliation. Là, j’étais à deux doigts de lui en coller une !
L’agence m’appela, nous avions rendez-vous le soir même, à vingt heures, avec le photographe. Je devais apporter tout mon "stylisme", sans exception.
J’arrivai au rendez-vous, garai ma voiture dans la cour de l’agence et, croulant sous les sacs et les valises, les bras arrachés tellement c’était lourd, je fis plusieurs allées et venues, pour décharger le tout dans la salle de réunion.
Sous le regard à la fois goguenard et méprisant de toute l’assemblée. Pas un geste pour m’aider, de la part de quiconque.
Je déballai le fruit de ma recherche dans toute la pièce. Me vengeant de ce tribunal d’abrutis en envahissant chaque table, bureau, chaise, ce qui obligea ce troupeau de moutons de Panurge à rester debout et à s’entasser un peu.
Et là, miracle ! Il y a pléthore et ce blasé de photographe s’extasie. Il ne s’y attendait pas, à celle là, apparemment. Il n’en revient pas, car il connaît assez les diktats de la mode pour se rendre compte de l’exploit que j’ai accompli, afin d’obtenir tous ces prêts.
Monsieur le photographe rougit, alors, jusqu’à la racine des cheveux, s’avance vers moi et me dit :
- Pardon Margot, j’ai honte de mon attitude. Et merci pour cette magnifique recherche.
Et il m’embrasse, sous le regard ébahi de toute l’agence.
Chose étrange, quand je suis repartie, tout avait été rangé, emballé par l’achat d’art et les créatifs et je ne portais plus rien, ne fut-ce que l’ombre d’une petite ceinture.
Le lendemain, je pavoisais et l’agence était plutôt mal en point à mon égard, car le photographe n’avait de cesse de me faire oublier sa goujaterie des jours précédents. Il me proposa, même, de m’aider à repasser certains vêtements et à vêtir nos mannequins.
J’avais apporté, pour avoir un panel complet, et aussi par sens de l’humour, quelques vêtements "persos", état neuf, glissés parmi les autres.
Le plus cocasse, dans l’histoire, fut que, pendant tout le temps que dura la campagne d’affichage, dans tout Paris et sa banlieue et peut-être même en province, l’agence eut, sous les yeux, l’image du mannequin femme, revêtue d’un collant noir, opaque, sous une jupe de cuir noir, tombant juste au-dessus des genoux, d’une chemise d’homme blanche et d’un court gilet noir, genre gilet de smoking, aux parements, rebrodés ton sur ton. Une large pochette de soie, dans la chemise, apportait une note vive et colorée à l’ensemble !
Car, après avoir fait essayer, au grand complet, la garde robe prêtée -- au mannequin qui n’en pouvait plus d’être habillée, déshabillée rhabillée -- le photographe n’avait, toujours pas, "sa photo".
Il farfouillait, sans être satisfait, quand il avisa une pile de vêtements, trouvés dans une valise, que j’avais posée à l’écart des autres. Comme si je pensais que le contenu n’en valait pas la peine. Et il avait littéralement, "flashé" dessus. Il avait composé, lui-même, cette tenue qu’il trouvait si… "in", sans réaliser qu’il l’avait déjà mémorisée auparavant et classée si…" out" !
Le bémol est qu’il avait trouvé la poche mal placée, pour y mettre la pochette en valeur et qu’il avait découpé un autre emplacement -- mieux situé à son goût -- en plein milieu du plastron gauche, dans ma chemise favorite.

Je l’ai conservée, en souvenir, cette chemise : vanité, tout n’est que vanité, dans ce milieu artificiel !

mercredi 18 février 2009

D'une vie à l'autre ou rupture... (Chapitre I - extraits)

Chapitre I

Souvent, je suis venue seule à la grève, sans y apercevoir âme qui vive. Mais c’est bien la première fois que je l’entends chanter. Ou, plutôt, que j’y entends chanter. Habituellement, les seuls et uniques sons étaient le clapotis des vagues venant s’échouer sur le sable, le murmure cristallin de la mer, quand je fendais l’eau en nageant, le crissement des galets suivant le mouvement de la marée, le cri des mouettes et, parfois, le sifflement du vent dans les rochers.

"La Dona e mobile, qual piuma al vento, muta d'accento, e di pensiero". La musique de Verdi me parvient, s’échappant par la fenêtre d’une villa.

Le soleil est encore vif, pour un mois de septembre. Nous sommes en morte-eau et la mer est proche. Je sors d’un bain "délicieux". Et c’est chose assez rare, sur nos côtes, pour m’en faire la remarque. Je me sens vivifiée, après avoir nagé pendant une bonne demi-heure, en solitaire, avec une délectation sans bornes.

L’eau est vert émeraude, la lumière est magnifique. Et l’air de Rigoletto -- chanté par Luciano Pavarotti -- explose littéralement dans la grève des curés. Dans ce cadre, quel bel hommage au grand Ténor qui s’est éteint hier !

Un vent, léger, vient de la terre. La plage est totalement déserte. Aussi, je ne puis m’empêcher de chanter, en duo, mêlant mon timbre de soprane à celui du ténor. Personne ne m’entendra.

Comme il était d’usage avant de chanter, dans la chorale, je ne me suis pas massé le cou, je n’ai pas remué les épaules en cadence, je n’ai pas fait d’exercices vocaux préparatoires. Donc, tout d’abord, j’y vais doucement, il ne s’agit pas de me casser les cordes vocales. Puis, ma voix s’amplifie, se cale sur celle de monsieur Pavarotti. Un véritable enchantement !

C’est alors qu’une troisième voix se joint aux nôtres. Elle provient de derrière l’énorme bloc de rochers, qui sépare la grève de l’autre plage. Plage dont je n’ai jamais su le nom, d’ailleurs, en 60 ans d’existence. Un autre ténor, bien moins prestigieux, bien sur, mais tout de même !

Interloquée, je m’arrête, mais l’homme invisible continue à suivre le chant et je reprends, malgré moi, de plus belle. Par la fenêtre, la musique s’est tue. Nos chants se sont éteints avec l’arrêt de ce que je suppose être une cassette ou un CD. Je ne vois toujours personne. Je ne cherche pas à connaître l’inconnu. Je pourrais aller vers lui, le passage est possible entre les deux plages, en dehors des grandes marées. Mais je préfère conserver le mystère de cette rencontre vocale. Apparemment, il en est de même pour mon ténor invisible.

J’étais venue sur la grève avec mon appareil de photo numérique, toujours en quête d’images, paysages, animaux ou oiseaux, situations ou personnages curieux. Dans mon sac de plage, un livre en cours de lecture, des mots fléchés, une broderie au point de croix. Je trimballe toujours un tas de trucs, au cas où.

Je pensais rester encore un peu, après le bain. Mais j’ai changé d’avis, finalement. Je me sèche, me rhabille en gardant sur moi mon maillot encore humide, comme d’habitude. Je n’ai pas froid, il fait très doux.

Sac sur l’épaule, je gravis l’étroit sentier, tracé dans la dune et regagne ma voiture d’un bon pas. Etrange moment, unique, et magnifique journée.


J’ai plusieurs passions dans la vie, mais l’écriture et le chant me tiennent particulièrement à cœur. Ils sont étroitement liés, pour moi. J’aime la musique des mots, la rythmique des phrases, la magie du verbe. Notre langue est tellement riche.
Ecrire est pour moi un pur moment de bonheur et mon PC est le confident de mon inspiration. Mais je peux aussi rédiger mes élucubrations n’importe quand, n’importe où, sur un ticket de métro, une enveloppe, un bout de papier, un cahier d’écolier, toujours avec un crayon à papier. J’écris depuis mon enfance, c’est une sorte de seconde nature.

Pour le chant, c’est autre chose. J’ai toujours aimé chanter. Dans ma famille, c’était naturel. Puis je me suis mariée. Mon mari et ma belle-famille ricanaient quand je fredonnais, machinalement. Alors je me suis tue, triste, mais résignée. Définitivement, croyais-je. Mais après un divorce douloureux, et une adaptation progressive à une vie -- quasi normale de nos jours -- de mère sans père pour son enfant, de femme sans mari, j’ai retrouvé l’usage de ma voix. Avec une joie profonde.

J’ai longtemps souhaité entrer dans une chorale, mais le temps a passé… J’ai quand même fini par m’inscrire à la chorale du Conservatoire de ma ville. Le chef de chœur était professionnel, excellent et, de plus, bon pédagogue. J’ai, alors, pris des cours de chant et, là, j’ai compris combien la voix était un bel instrument, fragile, mais magnifique. J’avais du "coffre", une tessiture de soprane, le contre-ut me devint possible. Pendant deux ans, j’ai chanté, en répétitions, en concerts.

Puis notre chef de chœur est parti, remplacé par une femme peu plaisante. Pas le charisme de son prédécesseur. Alors j’ai quitté le conservatoire et n’ai plus utilisé ma voix que pour moi seule, mais toujours avec autant de plaisir. Classique, contemporain, cantiques, gospel, chants de marins, selon l’humeur du moment.
Aussi, ce que je venais de vivre, sur cette grève bretonne, était un instant de réelle félicité.


Je suis revenue le lendemain et un scénario, quasiment identique, s’est déroulé. De la fenêtre m’est parvenu l’air de "Chérubin", dans les noces de Figaro : "voi che sapete"….. J’adore ce morceau. C’était plus fort que moi, j’ai chanté encore une fois. Il n’y avait pas âme qui vive. Même pas de mouettes. Seul le son de la mer roulant de petits galets et… Mozart !

dimanche 15 février 2009

D’UNE VIE A L’AUTRE ou rupture d’anévrisme une bombe dans ma tête (Préface)

Préface

En 1993, j'ai subi un accident vasculaire cérébral, suivi d'un coma et de 3 ans de rééducation, ce qui a coupé ma vie en deux. Certains souvenirs se sont enfuis et j'essaye désespérément de les retrouver.

La pêche aux souvenirs est une tâche difficile, après cette "bombe" dans la tête qu'est la rupture d'anévrisme. J'essaye de recoller, petit à petit, les "lambeaux" de ma vie qui me manquent, pour restaurer l'ensemble en un tout cohérent. Certaines personnes détiennent des morceaux de ce puzzle. Mais elles ne savent pas combien ces petits moments de vie où nous nous sommes croisés sont importants pour moi.

Alors, pour essayer de reconstruire, retrouver les bons souvenirs et laisser les mauvais là où ils ont croisé ma route, j’ai effectué ma propre « recherche du temps perdu ». Et l’écriture de ces pages s’est imposée à moi.

J’ai donc commencé à écrire ces pages quelques mois après mon "accident de parcours", pour me débarrasser d’un poids trop lourd pour moi : celui de mes souffrances !

J’écris depuis que j’ai appris à tenir un crayon et à former des lettres, puis des mots, à l’âge de six ans. A partir de ce moment, l’écriture est devenue, pour moi, une seconde nature. Je ne puis pas plus m’en passer que l’air que je respire. J’écris au crayon à papier, sur tous les supports que j’ai sous la main, feuilles, enveloppes, tickets de transport, etc… liste non exhaustive. Cela me prend n’importe où, à n’importe quel moment. Il m’arrive de me réveiller la nuit pour noter une idée, un cri de colère, écrire une lettre ouverte, un poème.

Ce manuscrit a commencé à prendre forme sur papier, 57 premières pages écrites à la main, au crayon. Puis je les ai recopiées peu à peu en les tapant, laborieusement, à la machine. Je ne me sers que de deux doigts, étonnamment, l’index gauche et le majeur droit. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même. Cela s’est fait d’instinct et installé.

D’abord, j’ai utilisé une bonne vieille machine, comme on en voit dans les films, genre Remington. Il fallait taper comme un sourd sur chaque lettre. Quelquefois, les lettres -- placées en éventail sur des sortes de petits marteaux -- se coinçaient et il fallait démêler tout cela, délicatement. Changer le ruban usagé était une vraie partie de plaisir. On s’en mettait plein les doigts, pour le même prix, d’une encre noire, bleue ou rouge. Le déclic sonore du retour à la ligne accompagnait, musicalement, votre créativité.

Ensuite, j’ai investi dans une machine à marguerite, dite électronique. Plus souple, plus confortable pour le bout des doigts. Il y avait, progrès important, un ruban effaceur, pour réparer les fautes de frappe et une sorte de mémoire de texte, dont je ne savais trop me servir, l’usage m’en étant resté, à ce jour, encore, un mystère. Car les lignes que je cherchais ne réapparaissaient jamais. En revanche, j’avais droit à des sortes de hiéroglyphes, morceaux de phrases, mots épars, dont je n’avais pas souvenir d’en avoir été l’auteur.

Cela, c’était juste avant ma rencontre avec l’informatique. Ce mot, informatique, me parlait d’un monde étranger, venant d’une autre planète : la planète jeunesse ! Je me tenais, résolument, à l’écart de ce progrès -- si c’en était un -- qui n’était pas pour moi, pas de ma génération, pensais-je.

Je n’aurais jamais cru qu’un PC put devenir un ami, un confident, un compagnon des bons et mauvais jours. La rencontre entre un ordinateur et moi, a eu lieu. Rencontre arrangée, pas souhaitée, mais obligée. Pas le coup de foudre, loin de là, mais l’obligation de travailler sur cet engin ! J’ai dû apprendre, peu à peu, à entrer dans ce monde bizarre, qui me faisait peur, aussi inconnu que futuriste. Les clefs m’en semblaient trop ésotériques. Mais, avec la connaissance, la passion est venue. J’ai apprivoisé cela comme le Petit Prince a apprivoisé son renard ou plutôt, comme pour lui, c’est l’inverse qui s’est produit : le PC m’a apprivoisée.

Internet, informatique, tout cela n’a plus trop de secrets pour moi. J’évolue dans ce monde "virtuel" comme chez moi. Pour rien au monde, je ne pourrais me séparer de mon PC. J’en ai deux, portables, un petit taille livre, pour la commodité de déplacements en transports en commun et un grand pour le confort de l’écriture, la mémoire et les différents logiciels dont je me sers avec délice.

Au départ, je me servais d’un ordinateur de bureau. Quand j’ai, enfin, maîtrisé l’informatique, -- du moins suffisamment pour me servir d’un clavier, d’une souris et d’une unité centrale -- j’ai voulu transcrire mes écrits par un traitement de texte plus moderne permettant une certaine flexibilité, comme effacer sans raturer ou et ne pas être obligée de recommencer toute une page de frappe.

Pour ces 57 feuillets que j’avais" pondus", tapés laborieusement sur mes différentes machines, la mise en page laissait vraiment à désirer.

Je n’avais pas rédigé ces lignes en pensant les faire publier. Et puis, un jour, l’idée a fait son chemin, amenée par des circonstances fortuites. Une sorte de challenge en fait. Et c’était parti.

En dehors de ces feuillets écrits noir sur blanc, je portais ce livre en moi. Mais une gestation de 14 ans est un peu trop longue et il me fallait "accoucher" de ce bouquin, une fois pour toute. Le continuer sur sa lancée et y inscrire le mot : fin !

Dans l’art d’écrire, Pierre Tisseyre déclare que l’écriture, c’est 10% de talent et 90% de transpiration. Je dirais, pour ma part -- car je ne transpire pas, même moralement, en écrivant -- qu’il y a 10% de talent, 20% d’imagination (ou de mémoire, c’est selon) et 70% de travail.

Pour les 70% de travail, j’y parviens, sans trop l’angoisse de la page blanche, comme certains. Pour l’imagination ou le souvenir, ils sont présents. Pour le talent, je ne suis pas à même de juger, car je doute de moi. Et chaque relecture rajoute une nouvelle couche d’incertitude sur le bien fondé de mon désir d’édition, car je trouve que ce n’est pas bon du tout.

Mais cette rupture d’anévrisme, c’est une vraie bombe dans la tête. Et les conséquences, sans parler des séquelles, sont très lourdes à porter. Si l’on en réchappe, on peut reprendre une vie "quasi" normale. Mais il faut se battre et, si possible, être entouré de l’amour des siens ! Comme cela n’était pas mon cas, cet entourage affectif, ce cocon tissé autour de quelqu’un qui vient d’échapper à la mort, si je voulais continuer à vivre, il me fallait me libérer du saccage, provoqué dans mon existence, par ce cataclysme. Et le meilleur moyen pour moi, qui refuse les psy, les analyses et tutti quanti, ce fut l’écriture.

Tout ce qui empoisonnait mon existence, depuis ce jour fatal où j’ai "pété" un plomb, toute cette charge de souffrance éprouvée, il fallait que je m’en libère. J’étais, depuis ce jour, comme une cocotte minute, prête à exploser si l’on ne libérait pas la vapeur en excès, par la soupape de sécurité.

Pour moi, ce trop plein de souffrances, morales et physiques, qui m’empoisonnait mes jours et mes nuits, c’était tous ces non-dits, ces choses que je gardais en moi, et plus que tout, ce ressenti de comportement des autres envers moi. Il me fallait m’en libérer. C’était une question de survie. Et d’avoir tout mis noir sur blanc, je respire enfin à pleins poumons et peux continuer à avancer vers ce que le destin me réserve encore !

Et, ce que je souhaite par-dessus tout si suis éditée un jour -- me trompant sur mon manque de talent et en possédant un tout petit peu plus que je ne le pense -- c’est que ces pages deviennent un message d’espoir pour tous ceux qui, comme moi, ont dû se reconstruire, entièrement, autant moralement que physiquement.

Et, parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix que celui-là, passer…d’une vie à l’autre !