vendredi 26 novembre 2010

D'une vie à l'autre ou rupture... Chapitre X (extraits)

Pauline est rentrée à Paris, mes amis ont récupéré leur maison et Varech et moi avons regagné les Trois Clefs.
Ma mère est arrivée, toute heureuse d’être en vacances.
Mon visage l’embarrasse un peu, mais elle pense que cela va s’arranger, avec le temps. Elle est totalement inconsciente du danger que j’ai encouru. Ma sœur ne lui a rien dit, si ce n’est que j’ai été malade. Niant l’évidence, Blandine refuse d’admettre que j’ai eu une rupture d’anévrisme, disant qu’il n’y a pas d’artère là où je suis sensée avoir été opérée. Que répondre à cela ?
Toute pimpante, s’activant de-ci de-là, le chien toujours accroché à ses basques. Elle trouve sa chambre agréable et la maison bien avancée, par rapport à ce qu’elle avait connu aux vacances de Noël, l’année précédente.
Il faut dire que l’été est chaud et ce temps, ensoleillé, rend le séjour agréable.
Ma mère est gourmande et adore cuisiner. Je la trouve souvent le nez plongé dans un livre de recettes, les papilles en éveil et se délectant, à l’avance, du plat qu’elle souhaite préparer.
Quand "chef maman" est "en cuisine", Varech ne la quitte pas d’une semelle. On ne sait jamais, un morceau de quelque mets, délicieux, peut tomber et il ne perd pas une miette des préparatifs.

En fait, la demi-pension à Trével -- au centre de rééducation fonctionnelle -- est devenue une grande matinée. Un taxi ambulance vient me conduire et me rechercher.
L’orthophoniste a renoncé à m’aider. Je ne parviens à rien, aucun progrès ne se manifeste. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Il y a peut-être un problème mécanique qui n’est pas de son ressort. Une heure de moins pour ma rééducation. D’où, j’ai gagné une heure de plus à la maison. Du moins, c’est ainsi que je le vois. Je peux rentrer déjeuner à Saint Guirec et avoir ma journée pour moi.

Coline Bazin, la mère de l’amie qui m’avait prêté la maison en juin, vient me voir chaque jour. Maman et moi l’aimons beaucoup. C’est une maîtresse femme. Elle est vive et dynamique, d’allure très jeune.
Elle voit que je me ronge, intérieurement et est déterminée à me sortir de mon marasme.
Elle a décidé que le jardin, devant les trois maisons, doit être nettoyé.
-Soaig, dit-elle à Maman nous allons vous concocter un joli petit jardin devant chez-vous.

Cela me fatigue beaucoup mais je n’ose protester, quand mes deux amies le font pour mon bien, cherchant à me distraire de ma peine.
Cela dit, je m’endors le soir comme une bûche, après ces séances d’horticulture. Car nous arrachons les mauvaises herbes, bêchons, plantons.

Maman me demande, enfin :
- Pourquoi as-tu cette affreuse cicatrice et les cheveux coupés, à moitié, sur le devant ?
Ma réponse la fait frémir :
- J’ai été trépanée, maman, après ma rupture d’anévrisme.
- Ne dis jamais ça, ne prononce jamais ce mot ! Les trépanés restent anormaux ! Tu n’as pas été trépanée, ton grand-père ne l’aurait pas voulu !
Tout juste si elle ne tape pas du pied pour marteler ces paroles.
Mon grand-père était médecin. Ma mère le révère. Je sais ce que signifie pour elle ce mot : "trépanation". Un mot tabou, que je l’ai toujours entendue prononcer avec répugnance, dans mon enfance. Mais je ne veux pas entrer dans son jeu.
-Maman, j’ai réellement été trépanée, malheureusement pour moi. Toi et moi n’y pouvons rien changer, c’est ainsi. Mais je ne suis pas "gogole" pour autant, rassure-toi. Les moyens médicaux ont changé, la chirurgie crânienne a fait des progrès, depuis ton père.
- Ne parle jamais de cela devant les gens, jamais !
Pauvre maman, je lui fais honte. Tout ce qu’elle retient de notre conversation, c’est ce mot, infamant : "trépanation". Il ne lui vient pas une seconde à l’esprit combien j’ai pu souffrir.
Je renonce à continuer cette discussion stérile, qui ne nous apportera rien, ni à l’une, ni à l’autre. Et qui me coûte, vu mon élocution toujours aussi peu aisée.
Ma famille ne voulait rien savoir, rien entendre, concernant ce qui m’était arrivé. Libre à elle !

Je suis née dans une fratrie à laquelle j’ai été imposée.
Antoine, mon frère aîné, et Blandine, ma sœur cadette, ne m’aiment pas. Du moins pas comme je les aime et comme je voudrais qu’ils m’aiment.
Mon frère a passé sa vie à m’aimer et à me détester, en fait.
Pour ma sœur, c’est un plus grand mystère. Elle m’aime par habitude, obligation, conviction religieuse. Elle fait son devoir envers moi. Et pas plus.
Peut-être est-ce ma faute, tout cela, ce peu d’amour familial et marital que j’inspire, puisque même mon mari et mon père m’ont abandonnée. J’en souffre terriblement. J’ai un sens aigu de la famille, de l’amour qui doit y régner. J’ai besoin d’une très grande tribu autour de moi -- parents, enfants, frères, sœurs, neveux, nièces -- et je me retrouve seule, avec mon fils. Et mon chien !
Alors, je me suis cherché une sœur, d’adoption. Et je l’ai trouvée. Elle se prénomme Lucie. Quand j’ai fait sa connaissance, chez des amis, elle vivait à Paris depuis quelque temps, venant de New-York. Naturalisée américaine, elle et sa famille étaient originaires de la République Dominicaine. Mon fils avait trois ans quand Lucie a fait irruption dans notre vie, pour le meilleur et pour le pire. Rodolphe s’est attaché à elle et l’a adoptée, lui-aussi.
Depuis, Lucie a regagné New-York, où vivent sa mère et son frère. Lucie poursuit une belle carrière de femme d’affaires et c’est la raison pour laquelle elle est rentrée aux Etats-Unis.

Un souci nouveau, auquel il faut faire face. Je jette un regard à mes comptes. Pas brillants. En ouvrant mon courrier, réexpédié par la poste, je m’aperçois, alors, qu’un avis à tiers détenteur m’a été adressé par le trésor Public, concernant une taxe professionnelle impayée.
Je ne suis plus assujettie à la taxe professionnelle depuis plusieurs mois. Je suis passée du statut de profession libérale, avec honoraires, à celui d’intermittente du spectacle, avec salaire. J’ai pris, tout spécialement, rendez-vous avec un inspecteur, à la Trésorerie, pour cela. J’ai soldé tous mes comptes, TVA, taxe professionnelle et impôts forfaitaires sur le revenu.
Au mois de mars ou avril, j’ai reçu une demande de paiement pour la taxe professionnelle. J’ai envoyé une lettre au Trésor Public, pour dire que je n’y étais plus assujettie, en expliquant bien les raisons de tout cela. Je n’ai reçu, comme réponse, qu’un rappel pour payer. J’ai pris mon téléphone, ma meilleure intonation -- bien que je bouille de colère -- et j’ai expliqué, patiemment, de vive voix, à l’inspecteur qui me répondait, ce qu’il en était.
- Pas de problème a dit le monsieur du fisc, je vais réparer cela. Je suis désolé, c’est une erreur regrettable.
- Je n’ai plus à m’en inquiéter, tout va rentrer dans l’ordre ? ai-je demandé, pour confirmation, à demi rassurée.
- Vous avez ma parole.
Forte de cela, j’ai pu passer à autre chose. C’était un tort. Le monsieur n’avait pas de parole, ou, alors, il en avait plusieurs, de rechange.
Et les impôts, en ce mois d’août, m’avaient prélevé, sur mon compte, une fort jolie somme. Aidés en cela par ma banque, qui en avait profité pour ponctionner sa quote-part, au passage, sous couvert de frais de gestion.
Je suis atterrée et appelle, immédiatement, le Trésor Public et le fameux inspecteur. Par chance pour moi, sinon pour lui, il n’est pas encore en congé.
- Bonjour monsieur, vous vous souvenez de moi ?
- Tout à fait. Qu’est ce que je peux faire pour vous ?
Je lui explique, d’abord, que j’ai eu un problème de santé et que j’ai du mal à prononcer certains mots.
- Cela ne s’entend pas, répond-il, poli
Je lui ressors tout ce que j’avais déjà dit au printemps, au sujet de la taxe professionnelle et de ma position actuelle de salariée. Et j’ajoute :
- Le Trésor Public a émis un ATD, sur ma banque et effectué, illicitement, un prélèvement sur mon compte, pour une taxe non due.
- Vous pouvez répéter ? me dit l’homme qui venait de me dire que mes difficultés de paroles n’en étaient pas.
Je répète ma phrase en détachant mes mots. Je lui explique que l’on m’a causé un grave préjudice financier, vu les circonstances.
Il prend un air étonné, du moins, il a la voix de l’air qu’il doit afficher.
- Comment cela est-il possible ? Je vérifie immédiatement.
- J’attends.
…Un bon moment. Le téléphone n’est pas gratuit, mon compte est presque à sec, l’état me dérobe, injustement, mes fonds, et je dois attendre le bon vouloir de ce nigaud ou de cet incompétent ! C’est le comble !
Il revient, enfin, au bout du fil :
- Vous avez raison. Nous allons réparer cette erreur, immédiatement.
Il l’a fait, mais je n’ai jamais récupéré mes "billes", pour la soustraction côté banque !


L’été se passe tant bien que mal, pour moi du moins. Car pour ma mère et le compère Varech, ils nagent dans le bonheur.
Il fait beau, les amis sont là et maman est à son affaire : elle cuisine et chacun apprécie les préparations de Soaig la cordon bleu des trois Clefs.
Moi, je me ronge intérieurement. Que fait Rodolphe, il donne de moins en moins de ses nouvelles, ne répond presque jamais au téléphone.
Aurai-je le courage de lutter encore et toujours, d’affronter l’inconnu. Car, avec tous mes handicaps, quel est l’avenir qui m’attend, maintenant ? En ai-je encore un, seulement ? Ou ne suis-je plus qu’un débris, que ma famille va devoir assumer, supporter ?

vendredi 14 mai 2010

D'une vie à l'autre ou rupture... Chapitre IX (extraits)

Le matin, je me levai aux aurores, sans attendre que Pauline soit levée. Ce n’était pas une lève-tôt et vu l’heure à laquelle elle avait regagné son lit la veille, j’avais de la marge pour manœuvrer. Je voulais prendre un petit-déjeuner consistant que j’arriverais à avaler sans trop de peine et qui me permettrait de tenir le coup pour la journée.
Je trouve du jambon, que je coupe en petits morceaux, extrêmement fins et de la soupe de potiron en boîte, que je réchauffe doucement. Je mets le jambon dans le potage et le mélange dans un bol. Je m’installe sur un coin de la table de la cuisine et m’assieds sur un des bancs.
Opération potage réussie, je ne me suis étranglée qu’une ou deux fois et ai très peu arrosé mon pyjama. Et d’un !
Cela, c’était pour le dîner manqué de la veille au soir. Maintenant, attaquons le petit déjeuner. Une grande tasse de thé au lait, des biscottes, un œuf à la coque (il y en avait de tout frais).
Je laisse les biscottes se ramollir dans le thé, juste ce qu’il faut, sinon plouf, elles tombent dans le fond de la tasse et ce n’est plus du thé, mais de la bouillie, que je vais boire. J’ai l’habitude de faire cela, ce fut le jeu de mon enfance, avec mes frères et sœurs. La biscotte ni trop molle ni trop dure, juste un peu attendrie, et fondant délicieusement, dans la bouche. Nous faisions des concours et celui dont la tasse contenait le plus de résidus de biscotte avait perdu. J’étais passée maître dans cet art. Le souvenir aidant, je m’en sortis avec les honneurs de la guerre.
Opération biscotte, réussie. Ma tasse contient encore assez de volume liquide pour ressembler plus à du thé qu’à une purée biscotée. Et de deux !
Reste l’œuf à la coque. Il est juste comme je l’aime, blanc bien pris et jaune crémeux. Je choisis une très petite cuillère, pour avoir de la marge de manœuvre entre les aliments et leur support, si je veux que le tout pénètre dans ma bouche sans se renverser partout, autour de moi. Première chose, prévenir la fausse route. Une petite gorgée de thé, déglutir précautionneusement, puis première tentative de dégustation. Cela marche, on continue sur cette lancée.
Opération œuf à la coque réussie, il n’y a pas plus de relief d’œuf à l’extérieur qu’à l’intérieur. Et de trois !
Pour le reste du thé au lait, j’en fais mon affaire. Ce n’est plus que de la gnognotte, à côté du reste ! Et le thé passe mes lèvres, glisse dans ma gorge, chaud et sucré, un breuvage royal ! Et cela, sans repasser le seuil, par un retour, brutal à l’envoyeur, comme c’est le cas, le plus souvent ! Opération thé réussie. Et de quatre !

C’est bien la première fois, depuis plusieurs semaines, que je déguste un repas, de cette manière.

C’est un plaisir, pour moi. Une nouveauté, cela aussi, la notion de plaisir, depuis mon accident vasculaire. Un tout petit plaisir, certes, mais qui compte malgré tout. Il est à la hauteur de la qualité de ma vie, en ce moment !
Essai transformé, et réussi, ce premier pas de résurrection ! Je passe à la seconde phase. Je vais aller prendre un bon bain, délassant.
Il est 7h30, Pauline dort encore, du sommeil du juste. Je redoutais un signe de Varech, qui pourrait réveiller mon amie. Mais non, il doit dormir dans sa chambre et m’ignorer royalement, pour me punir de mon attitude de la veille. C’est bien dans son style, cette bouderie silencieuse et dédaigneuse. Et cela arrange bien mes affaires.

La salle de bains est, en réalité, un salon de bains. Elle est spacieuse, très claire, grâce à une grande baie vitrée qui surplombe tout le côté où se situe la baignoire. Il y a un rocking-chair qui vous tend les bras, avant ou après le bain, des serviettes et des peignoirs moelleux à foison. Le luxe, en quelque sorte !

Je mets un produit moussant dans la baignoire, fais couler l’eau et me glisse dans ce délicieux univers aquatique. Le bain est à point, la mousse douce et apaisante, provenant de chez un grand parfumeur. Quel délassement après toutes les tortures que mon corps a subi. A part les enveloppements de boue d’algues, mon corps n’a pas éprouvé un moment de détente réelle depuis …trop longtemps ! Je savoure ce moment à sa juste valeur, lui aussi.

Une serviette chaude me sèche, provenant du porte-serviette chauffant. J’enfile un peignoir et m’assied dans le rocking, pour regarder le journal local, qui traine sur un petit meuble réservé aux journaux et magazines. Petit "canard" hebdomadaire, qui vous raconte tout sur tout, se passant dans les Côtes d’Armor. Dans ce journal, vous apprenez aussi bien que votre voisin vend du grillage à poules, que le détail du crime crapuleux perpétré, par un petit voyou, sur un couple de retraités, pour leur voler un porte-monnaie contenant 2 francs, ou le nom de la fille nouvelle-née du maire de Trifouillis les Oies !

C’est bon de flâner de la sorte, aussi confortablement installée ! Je me balance doucement en feuilletant l’actualité paysanne, villageoise ou maritime. Il s’en passe des choses, à Landerneau !

Je finis tout de même par mette un terme à ma paresse passagère. Les meilleurs moments ont une fin. Mais j’ai apprécié cet instant. Il faut croire qu’il en existe encore quelques-uns, pour moi, en dehors de mes problèmes d’apparence, qui me tourmentent au plus au point. Je refuse mon image actuelle et évite soigneusement toute rencontre avec un quelconque miroir !
J’ai une longue journée devant moi et le pire est à venir. Ce n’est pas la tâche à entreprendre, non cela je pense que j’en viendrai à bout, avec lenteur et patience, mais cela se fera. Le pire cela va être d’affronter Pauline. Elle va se mette en rage quand elle aura vent de mes projets. Elle n’a pas toujours bon caractère et la tempête, l’orage même, chez elle, peut toujours surgir en plein soleil.
Décidemment, cette Pauline est une station météo à elle toute seule, pensais-je, après avoir cogité ainsi !

J’ai pris de l’avance et, après un solide petit déjeuner, puis un bon bain, habillée de pied en cap, je l’attends de pied ferme, la Pauline. De pied ferme est peu être un peu exagéré, cela sent son Tartarin de Tarascon. Car le pied n’est pas ferme du tout et la jambe encore moins. Tout est encore "château branlant", dans ce corps qui revient peu à peu à la vie.

J’entends le bruit des pattes de mon chien, qui descend l’escalier du premier, suivi de près par le pas de Pauline.
Je ne vais pas affronter ma, parfois, irascible amie, tout de suite. Je vais attendre qu’elle ait pris sa collation matinale, fumé sa première "clope", pris son bain.
Chaque chose en son temps, un temps pour chaque chose. La matinée est superbe, le soleil est déjà au rendez-vous, pas un nuage en vue, dans le ciel, du moins !
Le chien se frotte à mes jambes, oubliant sa rancune et je le caresse machinalement.
- B’jour, déjà levée, me dit Pauline, l’œil glauque des petits matins, suivant un coucher tardif.
- Salut ma vieille, déjà levée et en pleine forme !
- Tu as déjeuné ?
- Oui Pauline, mais je reprendrai volontiers une tasse de thé avec toi.
Je sais qu’elle n’aime pas beaucoup la solitude et je tiens à lui faire ce plaisir de m’asseoir à la table du petit-déjeuner.
- Que dirais-tu de le prendre sur la terrasse, me dit mon amie ?
- Bonne idée, c’est le temps idéal.
- Cigarette au bec, Pauline achève de boire son café matinal, contrairement à ma pomme, qui préfère, nettement, le thé.
Elle a ouvert le quotidien de la veille et consulte le programme télé. Elle est une accro des feuilletons et aussi des télés-films.

Je n’ai pas eu le loisir de mettre la vaisselle dans la machine conçue, pourtant, à cet effet. Pauline a déjà tout porté dans l’évier et, en deux coups de cuillère à pot, escamoté la vaisselle. C’est son truc, le ménage et la vaisselle.

Elle part prendre son bain matinal, une cigarette vissée dans la bouche, clignotant de l’œil à cause de la fumée. Ah, ces clopeurs, quelle engeance !

Le temps est au beau fixe, chez Pauline. C’est une très, très, bonne nouvelle. Il s’agit d’en profiter, mais de manière astucieuse, en usant de diplomatie. Ruser, finasser et arriver par des détours infinis à faire ce que j’ai décidé de faire, sans qu’elle m’en fasse tout un "caca merdeux", comme elle dit parfois.
Mon amie Pauline est assez versatile et passe de la colère au rire, en un temps record.

Je l’ai retrouvée une fois -- venant passer le week-end chez sa mère, invitée par "chic fille" en personne -- assise en larmes dans sa chambre. Elle était à moitié à poil, et détruisait, méthodiquement, et systématiquement, un cadeau de son frère sous les coups vengeurs d’un petit marteau. Elle œuvra ainsi jusqu’à ce que ce cadeau fût réduit en miettes minuscules.
- Pauline, que fais-tu, tu es folle, m’exclamais-je horrifiée, devant ce désastre !
- Edouard a été horrible avec moi et je ne veux plus le voir ni entendre parler de lui.
Elle adorait, que dis-je, elle adulait son frère. Aussi le moment était grave et la dispute avait dû être assez saignante.
"L’Edouard" était un phénomène dans son genre, il ne faisait jamais que ce qui lui plaisait, et pas toujours à bon escient. Au grand dam de sa famille et de ses amis, parfois.
J’ai consolé Pauline, l’ai forcée à aller prendre une douche, pour se calmer, puis à se rhabiller.
Nous sommes descendues rejoindre sa mère dans la pièce commune. Son frère était sorti, immédiatement après la scène qui les avait opposés. Cela pour courir à la rencontre d’une des nombreuses "poulettes" de sa basse-cour de coq manceau !
La mère de Pauline nous servit un dessert dont elle a le secret, accompagné d’un délicieux breuvage alcoolisé, de sa fabrication. Dans les deux minutes qui suivaient, Pauline riait aux éclats en me narrant les dernières frasques de son frère dans les salons de la province.
- Toutes les filles, il les a toutes. C’est un vrai Donjuan. Aucune ne lui résiste bien longtemps.
Et Pauline s’enorgueillissait des succès de son héros, sous l’œil à la fois gêné et fier de "chic fille".
Elle fermait les yeux, avec indulgence, sur les excès de son aîné. Car cela l’amusait autant que Pauline.
Forte de mon expérience dans la connaissance du caractère de Pauline, il me faudrait user de toute ma stratégie, et de la meilleure, pour convaincre Pauline du bien-fondé de mes projets.
Franck devait passer la prendre dans la matinée pour l’emmener chez le teinturier, dans la ville voisine. Je voulais partir avec eux pour qu’ils me déposent aux Trois Clefs.
Je voulais arranger la maison pour l’arrivée de ma mère, afin qu’elle soit accueillante et un minimum confortable, si sommaire soit-elle.
J’étais sur des charbons ardents, ne sachant trop si je devais en parler avant ou après l’arrivée de Franck.
Je préférais attendre, me disant que sa présence tempérerait les excès linguistiques de Pauline. Elle peut être aussi aristocrate que charretière et son franc-parler est célèbre parmi nos amis. Elle est excessivement drôle et spirituelle, le plus souvent, dans son langage aussi raide qu’imagé, mais parfois aussi, elle dépasse un peu les bornes et je n’aime pas servir de cible à ces débordements.
Franck arriva, tout pomponné. Le parfait portrait du vieux garçon, célibataire, complaisant et toujours partant pour vous conduire à un endroit ou à un autre.
- Je vous accompagne, vous me déposerez aux Trois Clefs. Il faut que je voie ce que l’entrepreneur à fait, avant l’arrivée de maman.
- Il n’en est pas question, tu restes ici. Tu sors d’en prendre, tu en redemandes ? Tu es c. comme une forêt de b. ou quoi ?
Ça y est j’y ai eu droit, à l’insulte suprême. Je m’y attendais un peu, pour être honnête.
- Je fais ce qui me plaît, je suis adulte et vaccinée, vous me descendez, sinon j’y vais à pied.
Franck hésite, mais Pauline l’entraîne dans son sillage en me claquant la porte de la terrasse au nez.
Très bien, puisqu’elle le prend ainsi, je sais ce qui me reste à faire.
Et, après avoir enfermé le chien dans le living, j’entreprends la périlleuse descente du jardin, puis de la côte.
Périlleuse est bien le mot. Pour le jardin, ce n’est pas une mince affaire, mais il y a toujours quelque chose qui peut me servir d’appui. Je le traverse, descends l’escalier et me retrouve dans la rue, sur l’étroit trottoir.
Pour la côte, il va me falloir traverser la rue à un moment ou à un autre, car le trottoir disparait dans quelque mètres, de ce côté.
Je ne réfléchis pas et je me lance, en équilibre instable, ayant pris bien soin de regarder s’il n’y avait aucune voiture arrivant vers moi, de part et d’autre de la rue.
Je n’ai pas encore compris comment j’ai réussi à traverser, à accomplir cet exploit, juste avant l’amorce de la pente la plus raide. Je suis étourdie, la tête me tourne et je dois me cramponner aux murs pour ne pas tomber. Je crois avoir accompli le plus dur, mais je me trompe. Traverser est une chose, mais descendre une côte aussi raide en est une autre, vu mon état fragile. L’ascension de l’Everest n’a pas pu être pire que ma descente de la côte de Landal, ce jour là !

Je m’agrippais à toutes les saillies, toutes les portes, toutes les clôtures. Je progressais comme un ver de terre, me tortillant d’un point d’appui à un autre, jambes chancelantes, trébuchant sur le moindre caillou. Je devais avoir l’air d’une femme ivre et les passants me dévisageaient méchamment. Je m’étais fourré un foulard sur la tête pour me cacher le plus possible aux regards inquisiteurs des gens du coin.
J’ai mis des heures à atteindre ma maison. J’ai cru m’effondrer à terre, bien des fois avant d’y parvenir. Enfin la clef est dans la serrure et je me retrouve à l’intérieur. Je m’effondre d’un bloc sur le divan qui se retrouve miraculeusement sous moi, comme pour me recueillir, dans cette pièce encombrée de meubles.
J’ai dû avoir un malaise, car je ne retrouve mes esprits qu’au bout d’un petit moment, seulement.
Je suis saine et sauve, mais j’ai pris des risques. Je sais que Pauline ne voulait que mon bien et je comprends sa tentative de refus. Mais je lui en veux, car me connaissant comme elle me connaissait, elle savait que je tiendrais parole et descendrais à pied si Franck et elles refusaient de me déposer. Alors, son conseil ne m’ayant pas convaincue, perdu pour perdu, autant m’éviter la peine du trajet. Et, surtout, le risque que cela représentait pour moi !

J’ai été à la limite de l’évanouissement. Il s’en est fallu de peu que je ne perde connaissance et m’écroule de tout mon long, par terre.
Je retrouve mes esprits peu à peu. Je sais qu’il y a quelques réserves dans la cuisine et je me prépare un thé chaud et très sucré, pour me réconforter et me donner le temps de remettre de ma pénible épreuve. Car j’avais eu "chaud", il me fallait bien l’admettre, aussi pénible que cela me paraisse, de reconnaître mon erreur de jugement. Je n’étais pas assez remise, pour entreprendre la tâche que je m’étais dévolue. Ce que j’avais espéré faire était au-dessus de mes forces.

J’ai donné rendez-vous à la femme de ménage qui vient m’aider, pour les gros travaux. Je l’attends, allongée sur mon lit.
Quand elle arrive, je vois ses yeux se détourner de moi, avec gêne.
- Désolée de vous infliger un tel spectacle, madame Madec, je ne suis pas belle à voir !
Elle rougit un peu, ennuyée d’avoir laissé paraître son saisissement, à ma vue et ne répond rien.
Je lui donne mes directives et lui explique ce que je désire faire, exactement, en prévision de l’arrivée de ma mère.
J’essaye de l’aider, mais cette brave femme me le déconseille. Sans doute se rend-elle compte à quel point je me sens faible.
Elle est efficace, une vraie tornade blanche et les choses reprennent leur place, peu à peu.
L’ouverture a été faite entre les deux maisons, et ma sœur a dû passer, car les murs et la fenêtre de la maison de ma mère ont été, sommairement, badigeonnés de blanc. Et la moquette, vert amande, -- que j’avais achetée quelque temps auparavant -- posée.
Nous pouvons donc y placer les meubles, les lampes et les bibelots de sa chambre.
Madame Madec s’active, mais je dois l’aider pour le lit. Elle tirant, moi poussant, nous arrivons à lui faire traverser les maisons et à l’installer à la bonne place.
Cet exercice m’a épuisée et je retourne m’allonger.
A la fin de la journée, tout a repris bonne figure. Ma mère peut arriver, elle sera bien logée, du moins suffisamment confortablement, pour l’été.
La femme de ménage, effrayée par ma pâleur, me propose de m’aider à remonter la côte, en me donnant le bras. Ce que, bien sûr, j’accepte avec empressement. Ce d’autant plus qu’il va me falloir bientôt, affronter le "fauve" !

En arrivant enfin à bon port, je suis totalement épuisée et madame Madec me conduit jusqu’à mon lit, en me tenant serrée contre elle, pour m’éviter de tomber.
Pauline, Varech sur les talons, surgit, folle de rage et me fait de violents reproches, amplement mérités, d’ailleurs, je le concède.
- Tu es complètement piquée ! Qu’est-ce qui t’as pris ? Tu cherches à te suicider, ou quoi ?
Partir à pied, seule, était une folie et je m’en rends compte, car je le paye, maintenant, par des étourdissements. Et les hurlements de Pauline n’arrangent rien.
Madame Madec sort discrètement en me laissant, lâchement, seule pour affronter la colère de mon amie.
Pauline se calme en voyant combien je suis mal en point. Elle est assez punie comme cela, pas la peine d’en rajouter, doit-elle penser !
Je reste couchée jusqu’au dîner que Pauline a préparé devant un feu de bois, qui pétille gaiement. Nous dînons en tête à tête, silencieusement. Varech est couché à nos pieds
Carole, la femme de notre ami dentiste, passe prendre le dessert avec nous. Pauline lui apprend mon équipée et elle me gourmande pour mon imprudence :
-Pauline a raison, tu es vraiment folle de prendre de tels risques, tu aurais pu tomber dans la rue, te blesser ou te casser quelque chose ! Tu tiens à peine debout. Ce que tu as fait est stupide !
Je baisse la tête, mais ne dis rien. Elle est dans le vrai, mais je me serais fait tuer sur place plutôt que de l’admettre de vive voix.

Le dîner fini, je pars me coucher sans demander mon reste, car je ne tiens plus sur tes jambes. Je laisse mes deux amies papoter entre elles, devinant que je ferai les frais de la conversation.
La nuit est difficile, j’ai très mal à la tête, au dos, aux jambes. Les cachets ne me fournissent qu’un bref apaisement. Je subis le contrecoup de cette expédition, qui a été une rude épreuve, pour moi. C’est le prix à payer pour mon escapade.

lundi 5 avril 2010

D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap VIII (extraits)

Je suis transférée dans un centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle, à Trével. C’est mon choix, j’ai opté pour celui-là plutôt que pour un autre, plus sélect, par proximité de l’endroit où j’ai des amis. Il est réputé pour la qualité de ses soins, quand celui que j’ai refusé, l’est, en plus, pour la qualité de sa clientèle.
Et, Pauline, pour ce que j’en sais, est toujours dans la maison de mes amis, à Saint-Guirec. Ils le lui avaient proposé et elle avait accepté, sans hésiter. Ce que je pouvais concevoir sans peine. Il faisait beau, elle était au chômage, elle connaissait la plupart de mes amis. Pourquoi serait-elle rentrée à Paris, dans ces conditions !
Autant le transport vers l’hôpital avant mon opération est toujours aussi vivant dans ma mémoire, autant celui vers Trével est inexistant. Vagues images d’une arrivée dans la cour d’entrée, portée, comme un bébé, des bras de l’ambulancier à ceux d’un infirmier. Je ne devais plus peser bien lourd, je refusais de m’alimenter. Puis dépose dans un fauteuil roulant, couloirs interminables. Entrée dans une chambre. Couchée dans un lit.
Le dîner est servi. Il doit être dix sept heures, à peine. On m’assied, tant bien que mal, calée par des oreillers. Table de malade, plateau avec ce qui me semble être de la soupe, ma vue est proche de celle d’une aveugle, je ne distingue toujours que de vagues formes et ombres, plus ou moins claires, plus ou moins foncées.
Je prends la cuiller à soupe d’une main malhabile et tente -- après avoir saisi une cuillérée d’un liquide à peine chaud -- de porter le tout à ma bouche. Mon souci est de la trouver, car elle n’est plus à sa place. Du moins plus à celle dont j’ai le souvenir, au milieu du visage, sous le nez. J’y parviens, enfin, après quelques tentatives infructueuses. Mais là, impossible de faire pénétrer la cuillère, dans cet orifice pourtant conçu pour cela, entre autres ! Ça bloque à l’entrée !
Le liquide -- à la suite de la tentavive, loupée, de faire entrer la cuiller dans la bouche, à travers les lèvres -- dégouline le long de ma chemise de malade. Je sens mon vêtement s’humidifier, au fur à mesure des tentatives renouvelées et toujours aussi inutiles.
Des larmes jaillissent que je ne puis empêcher, se mêlant à la salive et au potage et se répandant sur le plastron de mon vêtement de nuit. Je dois être répugnante à voir. C’est l’idée qui me vient à l’esprit immédiatement et je me félicite d’être seule dans la chambre.
- Ne pleurez-pas mon petit, la soupe est déjà assez froide comme cela ! Prononce une voix compatissante, à côté de moi.
De saisissement, je laisse tomber la cuiller, qui atterrit, loi de la gravitation et malchance obligeant, directement dans l’assiette de potage.
Eclaboussures immédiates. Chacun en prend pour son grade, le lit, moi. Pas de quartier pour les maladroites !
J’ai une voisine de chambre, invisible mais bien présente.
Pauvre femme, quel spectacle elle a sous les yeux. Sa voisine est un monstre, bavant qui plus est. J’ai tellement honte que je n’ose pas répondre, sur l’instant. Pourtant la voix est gentille et l’intention est bonne.
Je crois que ma voisine a compris mon désarroi et elle ne dit plus un mot. Juste un :
- Bonsoir mon petit, à l’extinction des feux.


..........................................................

Je souffrais de ne pouvoir voir la mer, sur laquelle donnaient les baies de notre chambre, au dire de ma voisine. Ma vue était au plus bas. Un infirmier me proposa, un après-midi, de m’emmener au-dehors, sur la terrasse.
- Mais je ne verrai pas la mer, à quoi bon ?
- Mais vous la sentirez !
- Mais ce sera pire encore, lui dis-je, avec désespoir. Je la saurai là, tout près de moi et je me sentirai impuissante, trop loin pour la toucher et trop aveugle pour la voir !
- Mais vous aurez l’odeur de l’iode qui viendra vous chatouiller les narines, vous sentirez les rayons du soleil vous caresser la peau et le souffle du vent vous caresser les cheveux.
Un infirmier poète. De "mais" en "mais", positifs de sa part, négatifs de la mienne, j’ai accepté son offre. J’étais à bout d’arguments et lui, aussi, peut-être !
Nous sommes sortis, l’infirmier me poussant dans une étroite chaise roulante. Il avait raison, au tiers. D’odeur, que nenni, mon odorat avait disparu, de sensations procurées par le soleil, mon visage était apparemment insensible, au chaud comme au froid, mais pour le vent dans les cheveux… ça l’aurait fait… s’il y en avait eu ce jour là. Il me restait encore des cheveux sur une partie de la tête ! Alors, va pour le vent, j’aurais pu ressentir, au moins, ce plaisir !Je suis transférée dans un centre de rééducation et de réadaptation