Chapitre II
C’était en 1993, juin 1993. Quinze ans se sont écoulés, déjà ! Je me revois quelques semaines avant l’accident. Alerte, vive, toujours en ébullition, pas le temps de m’arrêter, efficace, bien rodée, mais "spidée, stressée", comme l’on dit dans le jargon du métier. J’étais devenue styliste de publicité, relations publiques, attachée de presse, après avoir été décoratrice et architecte d’intérieur. Le terme de "styliste", en "pub", équivaut à : accessoiriste, pour films ou photos. En quelque sorte, garçon de course de luxe. Bien rémunéré, mais traitement d’esclave, corvéable et taillable à merci, tout le temps de la mission.
Je me gourmandais intérieurement, quelques jours avant le "clash" …
- Et voilà, pensais-je, je viens, une fois de plus, d'accepter de travailler pour trois agences en même temps.
J’étais furieuse contre moi-même, car je ne devais m'en prendre qu'à ma propre bêtise.
- Bougre d’idiote, il fallait refuser !
C'était ma faute, uniquement ma faute ! Je ne pouvais incriminer personne d'autre.
- Mais quand donc apprendrais-je, enfin, à savoir dire "non" ?
- De toute manière, pensais-je en matière de consolation, j'ai besoin d'argent et le seul moyen pour m'en procurer, à ma connaissance, est de travailler, travailler et encore travailler.
Mais, de nuits, quasiment blanches, en semaines, sans un seul jour de repos, je finirai par le payer très cher. Je serai bien avancée si je me retrouve clouée au lit : je suis la locomotive, celle qui tire les wagons. Soutien de famille, je ne peux compter que sur moi-même. Si je tombe malade, je ne pourrai plus travailler. Sans travail plus d'argent et sans argent… je n'ose y songer, prise d'angoisse à cette seule pensée.
Deux décors, des costumes, un film, des photos. Je vais devoir terriblement m'investir, surtout pour l'un de ces deux décors. J'ai affirmé savoir faire de la peinture à l'éponge. C'est malin ! Il va falloir que j'apprenne cette technique, totalement inconnue pour moi. Et très vite encore, si je ne veux pas déchoir aux yeux du client. Il m'a accordé une confiance totale, je ne peux la tromper.
- Mais que diable suis-je allée faire dans cette galère ?
Molière me pardonnera, je l’espère, l’emprunt de sa célèbre phrase, arrangée à ma sauce ! Lui-même l’ayant piquée à Cyrano de Bergerac !
La pub, cet univers impitoya-able ! Pourrait-on chanter. Ce n’est pas Dallas, mais, pas loin.
Dans le milieu de la "pub" on peut rencontrer le summum de la goujaterie, comme dans celui de l’immobilier, peut-être, aussi ! Une anecdote, caractéristique, sur une petite aventure qui m’est arrivée, quelques mois auparavant, illustre bien ces agissements. Agissements qui ne font pas honneur à ceux qui les pratiquent !
Je travaillais assez souvent avec l’acheteuse d’art d’une agence assez cotée. L’achat d’art, en publicité, comme son nom ne l’indique pas vraiment, est le service qui s’occupe d’organiser les photos ou les films. Son rôle -- quand l’idée a été trouvée par les créatifs et la maquette ou le scénario, conçus -- est de se mettre en quête du photographe ou du réalisateur, des mannequins, de la styliste, du lieu ou du studio, pour les prises de vue ou le tournage.
J’avais donc été pressentie, par l’achat d’art, pour le stylisme d’une photo, destinée à la campagne publicitaire d’une grande chaîne de radio nationale. Il fallait vêtir une femme et un homme. Rien de bien sorcier. Le photographe choisi, un suisse vivant aux Etats-Unis, était une "star". Entendez : grosse rétribution, grosses exigences pour son séjour, gros caprices pour tout ce qui concernait son travail et le nôtre, surtout.
Nous avions rendez-vous à l’agence pour un premier contact. J’étais dans la plénitude de la quarantaine tout juste passée, grande, mince comme un fil et on me disait plutôt pas mal.
Je mettais, le plus souvent un pantalon, en studio, par commodité de mouvements. Mais, pour ce rendez-vous, j’étais revêtue d’un collant noir, opaque, sous une jupe de cuir noir, tombant juste au-dessus des genoux, d’une chemise d’homme blanche et d’un court gilet noir, genre gilet de smoking, aux parements, rebrodés ton sur ton. Une large pochette de soie, dans la chemise, apportait une note vive et colorée à l’ensemble ! Elle provenait de la rue du Faubourg Saint-Honoré, aux carrés si connus, petits et grands.
J’affectionnais, particulièrement, ces gilets et en possédais toute une collection. C’est devenu, peu de temps après, très à la mode, mais je l’avais précédée, cette mode. Mes vêtements étaient d’un classicisme sans excentricité, provenant de bons faiseurs.
Dès mon entrée dans la pièce où se tenait la réunion, j’ai vu le regard critique du photographe se poser sur moi, sans indulgence. J’étais cataloguée, d’emblée, dans les "ringardes". Il s’attendait à une minette, habillée dans le "look in", en vogue dans ce milieu. Et, j’avais le tort d’avoir 42 ans et un style … bien à moi !
Histoire sans paroles. Toute l’agence avait compris ce que ressentait le photographe pour la styliste, "has been", qu’on lui avait "collée dans les pattes".
Il me brossa un tableau des exigences qui étaient les siennes, pour le stylisme vestimentaire de la photo. Le "top look" ! Je devais faire les recherches, prendre des polaroïds de ce que j’avais trouvé et lui rapporter le tout à son hôtel, le surlendemain matin, pour qu’il choisisse. Je suis repartie de l’agence la mort dans l’âme, humiliée au plus haut point par tous ces jeunes, ces vieilles et vieux "c...
- Au pied le chien, avait dit le photographe et pas de discussion possible, je n’avais qu’à m’exécuter !
J’appelais toutes les maisons de prêt-à-porter de luxe, souhaitées par l’homme de l’art. Elles étaient de plus en plus réticentes -- ces adresses réputées -- pour louer ou prêter leurs vêtements. Tenant à ne pas ternir leur image de marque, pour des pubs comme le saucisson ou le papier toilette, par exemple. Et elles commençaient même à intenter des procès pour faire respecter l’utilisation de leurs griffes, à leur convenance et non à celle des publicitaires.
Heureusement pour moi, cette radio était tout à fait haut de gamme et je tenais donc une argumentation solide, pour plaider ma cause.
Par l’entremise des attachées de presse que je connaissais, j’appelais les directrices et créatrices de mode et leur expliquais l’attitude de ce butor et de l’agence, envers moi.
Les agences de pub n’étaient plus tellement en odeur de sainteté, à cause des abus commis. Aussi, j’obtins, par chance, gain de cause ; une sorte de complicité, contre l’ennemi, s’étant établie entre nous.
Je fis donc mon choix, pris mes photos polaroids de tous les vêtements qui me semblaient les plus adaptés au désir du photographe, pour ses deux mannequins, homme et femme.
Le lendemain, aux aurores, je retrouvais le photographe à son hôtel avec ma prise. Cet hôtel était … le Ritz, en toute simplicité ! Il l’avait exigé et l’agence n’avait eu qu’à s’exécuter.
Monsieur prenait son petit-déjeuner dans sa chambre. Je le saluais, sans qu’il daignât répondre ni me jeter un regard. Et il regarda les photos, les unes après les autres, en le épluchant soigneusement et en revenant plusieurs fois sur certaines. Il prit un stylo feutre, fit une croix sur les vêtements et accessoires, choisis, et me dit :
- Tout ça.
Laconique la star !
Et m’éconduisit d’un geste, comme un "larbin".
Je ravalai ma salive, gardai mon orgueil dans ma poche en mettant mon mouchoir par-dessus et sortis rapidement de la pièce, en serrant les poings de rage et d’humiliation. Là, j’étais à deux doigts de lui en coller une !
L’agence m’appela, nous avions rendez-vous le soir même, à vingt heures, avec le photographe. Je devais apporter tout mon "stylisme", sans exception.
J’arrivai au rendez-vous, garai ma voiture dans la cour de l’agence et, croulant sous les sacs et les valises, les bras arrachés tellement c’était lourd, je fis plusieurs allées et venues, pour décharger le tout dans la salle de réunion.
Sous le regard à la fois goguenard et méprisant de toute l’assemblée. Pas un geste pour m’aider, de la part de quiconque.
Je déballai le fruit de ma recherche dans toute la pièce. Me vengeant de ce tribunal d’abrutis en envahissant chaque table, bureau, chaise, ce qui obligea ce troupeau de moutons de Panurge à rester debout et à s’entasser un peu.
Et là, miracle ! Il y a pléthore et ce blasé de photographe s’extasie. Il ne s’y attendait pas, à celle là, apparemment. Il n’en revient pas, car il connaît assez les diktats de la mode pour se rendre compte de l’exploit que j’ai accompli, afin d’obtenir tous ces prêts.
Monsieur le photographe rougit, alors, jusqu’à la racine des cheveux, s’avance vers moi et me dit :
- Pardon Margot, j’ai honte de mon attitude. Et merci pour cette magnifique recherche.
Et il m’embrasse, sous le regard ébahi de toute l’agence.
Chose étrange, quand je suis repartie, tout avait été rangé, emballé par l’achat d’art et les créatifs et je ne portais plus rien, ne fut-ce que l’ombre d’une petite ceinture.
Le lendemain, je pavoisais et l’agence était plutôt mal en point à mon égard, car le photographe n’avait de cesse de me faire oublier sa goujaterie des jours précédents. Il me proposa, même, de m’aider à repasser certains vêtements et à vêtir nos mannequins.
J’avais apporté, pour avoir un panel complet, et aussi par sens de l’humour, quelques vêtements "persos", état neuf, glissés parmi les autres.
Le plus cocasse, dans l’histoire, fut que, pendant tout le temps que dura la campagne d’affichage, dans tout Paris et sa banlieue et peut-être même en province, l’agence eut, sous les yeux, l’image du mannequin femme, revêtue d’un collant noir, opaque, sous une jupe de cuir noir, tombant juste au-dessus des genoux, d’une chemise d’homme blanche et d’un court gilet noir, genre gilet de smoking, aux parements, rebrodés ton sur ton. Une large pochette de soie, dans la chemise, apportait une note vive et colorée à l’ensemble !
Car, après avoir fait essayer, au grand complet, la garde robe prêtée -- au mannequin qui n’en pouvait plus d’être habillée, déshabillée rhabillée -- le photographe n’avait, toujours pas, "sa photo".
Il farfouillait, sans être satisfait, quand il avisa une pile de vêtements, trouvés dans une valise, que j’avais posée à l’écart des autres. Comme si je pensais que le contenu n’en valait pas la peine. Et il avait littéralement, "flashé" dessus. Il avait composé, lui-même, cette tenue qu’il trouvait si… "in", sans réaliser qu’il l’avait déjà mémorisée auparavant et classée si…" out" !
Le bémol est qu’il avait trouvé la poche mal placée, pour y mettre la pochette en valeur et qu’il avait découpé un autre emplacement -- mieux situé à son goût -- en plein milieu du plastron gauche, dans ma chemise favorite.
Je l’ai conservée, en souvenir, cette chemise : vanité, tout n’est que vanité, dans ce milieu artificiel !
vendredi 20 février 2009
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