lundi 5 avril 2010

D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap VIII (extraits)

Je suis transférée dans un centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle, à Trével. C’est mon choix, j’ai opté pour celui-là plutôt que pour un autre, plus sélect, par proximité de l’endroit où j’ai des amis. Il est réputé pour la qualité de ses soins, quand celui que j’ai refusé, l’est, en plus, pour la qualité de sa clientèle.
Et, Pauline, pour ce que j’en sais, est toujours dans la maison de mes amis, à Saint-Guirec. Ils le lui avaient proposé et elle avait accepté, sans hésiter. Ce que je pouvais concevoir sans peine. Il faisait beau, elle était au chômage, elle connaissait la plupart de mes amis. Pourquoi serait-elle rentrée à Paris, dans ces conditions !
Autant le transport vers l’hôpital avant mon opération est toujours aussi vivant dans ma mémoire, autant celui vers Trével est inexistant. Vagues images d’une arrivée dans la cour d’entrée, portée, comme un bébé, des bras de l’ambulancier à ceux d’un infirmier. Je ne devais plus peser bien lourd, je refusais de m’alimenter. Puis dépose dans un fauteuil roulant, couloirs interminables. Entrée dans une chambre. Couchée dans un lit.
Le dîner est servi. Il doit être dix sept heures, à peine. On m’assied, tant bien que mal, calée par des oreillers. Table de malade, plateau avec ce qui me semble être de la soupe, ma vue est proche de celle d’une aveugle, je ne distingue toujours que de vagues formes et ombres, plus ou moins claires, plus ou moins foncées.
Je prends la cuiller à soupe d’une main malhabile et tente -- après avoir saisi une cuillérée d’un liquide à peine chaud -- de porter le tout à ma bouche. Mon souci est de la trouver, car elle n’est plus à sa place. Du moins plus à celle dont j’ai le souvenir, au milieu du visage, sous le nez. J’y parviens, enfin, après quelques tentatives infructueuses. Mais là, impossible de faire pénétrer la cuillère, dans cet orifice pourtant conçu pour cela, entre autres ! Ça bloque à l’entrée !
Le liquide -- à la suite de la tentavive, loupée, de faire entrer la cuiller dans la bouche, à travers les lèvres -- dégouline le long de ma chemise de malade. Je sens mon vêtement s’humidifier, au fur à mesure des tentatives renouvelées et toujours aussi inutiles.
Des larmes jaillissent que je ne puis empêcher, se mêlant à la salive et au potage et se répandant sur le plastron de mon vêtement de nuit. Je dois être répugnante à voir. C’est l’idée qui me vient à l’esprit immédiatement et je me félicite d’être seule dans la chambre.
- Ne pleurez-pas mon petit, la soupe est déjà assez froide comme cela ! Prononce une voix compatissante, à côté de moi.
De saisissement, je laisse tomber la cuiller, qui atterrit, loi de la gravitation et malchance obligeant, directement dans l’assiette de potage.
Eclaboussures immédiates. Chacun en prend pour son grade, le lit, moi. Pas de quartier pour les maladroites !
J’ai une voisine de chambre, invisible mais bien présente.
Pauvre femme, quel spectacle elle a sous les yeux. Sa voisine est un monstre, bavant qui plus est. J’ai tellement honte que je n’ose pas répondre, sur l’instant. Pourtant la voix est gentille et l’intention est bonne.
Je crois que ma voisine a compris mon désarroi et elle ne dit plus un mot. Juste un :
- Bonsoir mon petit, à l’extinction des feux.


..........................................................

Je souffrais de ne pouvoir voir la mer, sur laquelle donnaient les baies de notre chambre, au dire de ma voisine. Ma vue était au plus bas. Un infirmier me proposa, un après-midi, de m’emmener au-dehors, sur la terrasse.
- Mais je ne verrai pas la mer, à quoi bon ?
- Mais vous la sentirez !
- Mais ce sera pire encore, lui dis-je, avec désespoir. Je la saurai là, tout près de moi et je me sentirai impuissante, trop loin pour la toucher et trop aveugle pour la voir !
- Mais vous aurez l’odeur de l’iode qui viendra vous chatouiller les narines, vous sentirez les rayons du soleil vous caresser la peau et le souffle du vent vous caresser les cheveux.
Un infirmier poète. De "mais" en "mais", positifs de sa part, négatifs de la mienne, j’ai accepté son offre. J’étais à bout d’arguments et lui, aussi, peut-être !
Nous sommes sortis, l’infirmier me poussant dans une étroite chaise roulante. Il avait raison, au tiers. D’odeur, que nenni, mon odorat avait disparu, de sensations procurées par le soleil, mon visage était apparemment insensible, au chaud comme au froid, mais pour le vent dans les cheveux… ça l’aurait fait… s’il y en avait eu ce jour là. Il me restait encore des cheveux sur une partie de la tête ! Alors, va pour le vent, j’aurais pu ressentir, au moins, ce plaisir !Je suis transférée dans un centre de rééducation et de réadaptation