mercredi 8 juillet 2009

D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap VII –

Chapitre VII –

Nous arrivons à Vennes. Service des urgences. Prise en charge immédiate. J’étais "un cas" ! Scanner à nouveau et …"artériographie" ! Une vraie partie de plaisir. On réalise une ponction de l'aine, à l'aide d'une aiguille et on y glisse un fil en acier très fin, "un guide", qui permet d'engager une sonde dans l'artère qu’il faut examiner. On vous demande, alors, de ne pas bouger et de ne pas respirer.
Je ne suis pas en mesure de donner mon avis sur le déroulement des opérations. Je les subis, un point c’est tout.
Après l’examen, le radiologue me pose un sac de sable sur l’aine et me dit de le garder pour la nuit, afin d’éviter une hémorragie.
- Réjouissant programme ! lui dis-je.
-L’artériographie confirme la rupture d’anévrisme. Vous serez opérée demain matin. C’est assez grave et je dois vous prévenir que c’est à risque. A tout moment, le caillot, qui colmate votre artère, peut céder, avant que nous n’ayons pu intervenir.
- Cela revient à dire que je peux ne pas me réveiller ?
- Hélas, oui, je ne veux pas vous le cacher !
Cela a le mérite d’être clair, même si c’est franc et brutal, sans fioritures autour, pour amortir le choc. Ce médecin ne fait pas dans la dentelle. Mais, au moins, je sais à quoi m’en tenir et ce qui me reste à faire, d’urgence, avant l’opération de la dernière chance.
On m’emmène dans la chambre qui m’est destinée. Le sac de sable sur l’aine. Ce sac ressemble plutôt à un mini- traversin… de béton. C’est lourd, inconfortable, astreignant. Mais incontournable, semble-t-il !
Je dois être opérée le lendemain. Le médecin chef et le chirurgien m’ont avertie que c’était sérieux. Je risquais de ne pas me réveiller. Traduction : je pouvais me transformer en feue Margot Morel, incessamment sous peu. Réjouissante hypothèse, verdict prévisionnel !
Ma participation, dans cette affaire, est purement morale : assistance impuissante à ma propre déchéance ! Je n’ai, physiquement, aucune possibilité de choix ! Rien à faire, rien à dire, subir !
Pendant toute la nuit, je vis un véritable cauchemar. Dans la chambre à côté, on joue gros : poker, accompagné d’alcool comme aide pour supporter les pertes.
Dans le couloir, potin épouvantable : je suis en face des cuisines et cela rentre, sort, claque les portes, va et vient.
Le sac de sable glisse et je dois passer la nuit à le remettre en place.
J’ai un petit souci, depuis toujours, dégradant dans une situation de ce genre. J’ai une vessie plutôt petite -- personne n’est parfait – et je dois me lever souvent, la nuit, pour aller aux toilettes. Et dans un moment comme celui-ci, cela ne s’arrange pas.
Le problème, majeur, dans un hôpital est le bassin. Cela paraît anodin quand vous êtes à l’extérieur, mais dans les murs… ne peuvent en parler que ceux qui ont subi ce supplice !
Une envie pressante vous prend, vous sonnez l’infirmière. Elle arrive, à un moment ou à un autre. On dit mieux vaut tard que jamais et c’est ce premier cas de figure qui prédomine. Le bassin finit par vous être apporté, après un véritable parcours du combattant. Ce n’est que le début. Vous appelez pour faire enlever ce bassin, car ce n’est pas un voisinage agréable. En vain !
Alors, ce soir là, je prends la décision qui s’impose : demande de bassin, mais pas de rappel pour l’ôter, je resterai vissée dessus, vaille que vaille.
Enfin, je glisse épuisée, dans un sommeil qui se voudrait réparateur. Une petite heure, sans plus, car je suis réveillée, illico presto. On doit me laver la tête avec un produit désinfectant, pour l’intervention future. Pas de mot gentil, minimum de communication, de consolation d’être humain à être humain, en souffrance. Les ordres, la routine, rien de plus. Dernière toilette, préalable à… Sensation horrible, la toilette de la condamnée, qui me fait penser à la reine Marie-Antoinette, avant de passer la tête sous l’échafaud.
Cela fait, je demande l’octroi d’un téléphone, d’un bloc de papier et d’un stylo feutre, ce qui m’est accordé, immédiatement.
Il me faut joindre :
Paul, mon ex-mari pour lui dire ce qui se passe,
le mari d’une amie qui me doit de l’argent, pour une mission, accomplie, qu’il m’a confiée.
Je veux, aussi, établir un testament en faveur de ma mère, pour mes maisons en Bretagne. Je veux que mon fils en soit l’héritier, mais souhaite qu’elle en ait la jouissance, à vie. Usufruitière, en fait. Mon fils Rodolphe, auquel j’en avais touché deux mots, était d’accord sur le principe.
J’ai téléphoniquement et par écrit, une activité qui déplait à l’infirmière de service. Elle menace de m’enlever téléphone et bloc à écrire.
Je proteste et fais appeler le chef de service.
- Je vais peut-être passer l’arme à gauche, après mon opération. Je n’ai plus beaucoup de temps pour protéger ma famille, mon fils, ma mère. Aussi, je veux être libre de disposer du peu de temps qui me reste, sans qu’une infirmière intervienne, d’une manière aussi négative que stupide !
Le médecin abonde dans mon sens et en informe l’infirmière qui m’a passé un savon, précédemment. Elle prend un air choqué, offusqué, mais obtempère et me fiche, enfin, une paix, royale !
Le chirurgien arrive, avec ses assistants. On m’embarque sur un chariot. Le sort en est jeté ! Après l’opération, je reviendrai peut-être à la vie, ou peut-être pas !
Ce qui m’étonne, c’est la passivité, le détachement, qui m’habitent : je n’ai pas peur de mourir, je suis loin de tout cela. Je le vis comme si ce sort -- définitif et sans appel -- était destiné à une autre personne. Peut-être est-ce le résultat de la souffrance, morale et physique, qui m’habitent. Morale, pour l’avenir de mon fils, physique, pour les terribles douleurs endurées !


- Joël, réponds-moi. M’entends-tu ? Réponds-moi, je t’en supplie !
Je pense que je suis morte. Je suis dans un autre monde, cela est certain. Et j’entends une petite voix qui implore, toujours, et toujours :
- Joël, réponds-moi. M’entends-tu ? Réponds-moi !
Mes yeux ne s’ouvrent pas. Je plane dans un monde glauque, une sorte de grand tunnel, un peu sombre. Mais au bout de ce tunnel, une lueur, vive !
Tout m’attire, pour rejoindre le bout de ce tunnel, où m’attend, j’en ai la certitude, une félicité sans nom. J’amorce les premiers pas, pour accéder au "Nirvana" qui m’est promis. A l’extrémité, la lumière.
Mais, devant moi, se dressent mon fils et ma mère :
- Ne pars pas, nous avons besoin de toi, ne pars pas, reste avec nous!
Je m’étais déjà bien engagée dans cette galerie au bout de laquelle m’attendait le bonheur. Tout concordait pour que je me dirige dans cette direction, sans désir de retour.
Et puis, je me suis réveillée d’un coma très profond, apparemment (c’est du moins ce que l’on m’a dit par la suite). On sort du coma comme on sort du sommeil, c’est la sensation que j’ai éprouvée, pour ma part. Un matin j’ai ouvert les yeux et je me suis remise à exister, pour de vrai !
La partie consciente de mon cerveau reprenait du service. Etait-ce un bien pour moi ? Je ne pourrai jamais répondre à cette question !
Une infirmière s’écria à la cantonade :
- L’anévrisme a ouvert les yeux, et s’approcha de moi.
L’apostrophe était pour le moins cavalière, en ce qui me concernait. Mais il est vrai que c’était tout ce que j’étais pour elle, dans ma léthargie comateuse.
- Bonjour, vous m’entendez ?
Je l’entendais, mais mes lèvres n’arrivaient pas à articuler une réponse. Je fis oui de la tête.
J’eus droit à un sourire ravi, s’épanouissant dans une face joviale et fleurie se penchant sur moi, me touchant presque.
- Vous allez quitter le service de réanimation et être transférée dans une chambre à deux. Vous serez avec une dame qui vient de subir la même intervention que la vôtre.
J’essayais de sourire aussi, mais mon visage restait figé, je le sentais. Mes muscles faciaux refusaient de m’obéir et je dus faire une grimace affreuse car l’infirmière me regarda bizarrement.
Le temps ne compte pas, dans les hôpitaux et j’attendis…un certain temps avant de me retrouver dans la chambre annoncée.
Dans l’intervalle, mes lèvres avaient consenti à se mouvoir un tantinet et quand l’infirmière s’approcha de moi, pour m’enlever quelques tuyaux, je lui demandai, articulant comme une personne qui a "la gueule de bois" :
- J’ai entendu plusieurs fois une voix qui suppliait : "Joël, réponds-moi. M’entends-tu ? Réponds-moi !" –Ai-je rêvé ?
- Non, vous n’avez pas rêvé, c’était la réalité. Un jeune garçon qui est dans le coma, après un grave accident de mobylette. C’est sa mère que vous entendiez.
- S’est-il enfin réveillé ?
- Non toujours pas, mais si cela arrive, je viendrai vous le dire, car je vois que cela vous tracasse.
- Oh oui, merci, c’est gentil à vous, répondis-je, touchée par cette attention venant d’une bonne brave grosse brute.
Brute, car elle n’y va pas de main morte, pour me débrancher. C’est un début prometteur pour la suite des soins. Je souhaite vivement, en mon for intérieur qu’elle ne soit attachée qu’au service "réa" et non à celui des chambres.
Mon transfert a lieu, enfin. Je passe du lit à une sorte de brancard roulant, puis du brancard à un autre lit. Déplacée en cela par un immense infirmier, dont la douceur des gestes contraste avec l’apparence fruste.
J’ai encore tout un tas de tuyaux, branchés dans tous les orifices et aussi dans les bras. Pas vraiment agréable tout cela !
Une fois bien "enfournée" dans mon lit -- et c’est vraiment le terme qui convient, emballée dans draps et couvertures au carré, barrière de sécurité me cernant de toute part, comme dans un lit de bébé -- je crois avoir enfin un peu de repos.
Mais non, ce n’est encore pas fini. Une infirmière entre dans la chambre. Voix agréable, belle femme, pour ce que j’en perçois dans le brouillard de ma vision.
- Bonjour madame, nous allons vous enlever quelques engins de torture, dont les sondes. Mais nous allons devoir vous brancher sur une machine qui vous délivrera un puissant antalgique, à heures fixes, pour soulager vos douleurs. Votre voisine a la même chose.
Je n’ose plus essayer de sourire, mais je hoche la tête et murmure d’une voix peu audible, à l’articulation défaillante :
- Merci madame, je souffre beaucoup. On m’a dit que c’était le liquide méningé qui causait ces douleurs terribles.
- Effectivement, c’est bien la raison. Et puis votre opération n’a pas amélioré les choses, car vous avez subi une importante intervention. Votre vie ne tenait plus qu’à un fil.
Apparemment, le fil ne s’était pas rompu, mais il s’en était fallu de peu.
- Le médecin chef du service passera vous voir, demain matin, avec le chirurgien qui vous a opérée. Reposez-vous maintenant. Nous allons vous laisser les barrières de sécurité pour cette première nuit dans votre chambre et nous les enlèveront demain.
Je n’ai pas encore aperçu ma voisine. Je me tourne de son côté :
- Bonjour madame.
- Bonjour voisine, alors on vous a branchée aussi sur la machine "dite anti douleur". Cette machine sonne quand le produit vous est dispensé et vous réveille brusquement, quand vous dormez, enfin, un peu. Si nous avons de la chance, nos machines ne sonneront pas en même temps et nous allons nous réveiller mutuellement, plusieurs fois dans notre sommeil.
- Cela nous promet d’agréables nuits ! lui répondis-je en essayant d’articuler correctement ma phrase.
Chaque parole sortant de ma bouche était pour moi un travail laborieux de prononciation, d’articulation. Je ne maîtrisais pas vraiment mon élocution. Un ivrogne, avec une bonne vieille cuite, n’aurait pas fait mieux !
Mon cerveau fonctionnait correctement, mais le reste de mon corps n’avait pas l’air de vouloir suivre. Mes yeux ne distinguaient pas grand-chose, des formes vagues, qui se mouvaient dans un univers cotonneux. Mes oreilles percevaient les sons, mais de manière amortie. Mes bras, mes jambes, endoloris étaient sans force. Mon côté droit me semblait à moitié paralysé. Tout mouvement m’était effort.
La première nuit dans cette nouvelle chambre ne m’apporta ni sommeil réparateur, ni apaisement de mes maux. La machine nous prodiguait un soulagement passager, mais entre deux distributions du produit, il s’écoulait un trop long moment et les douleurs reprenaient force. C’était intenable. Pas un espace de corps qui ne fût zone de souffrance.
Ma voisine était logée à la même enseigne. Nous échangions quelques mots, sur nos misères respectives.
Le lendemain matin, on m’enleva les barrières de sécurité. Puis j’eus la visite du chef de service et de son staff, accompagné du chirurgien et aussi du frère de Pierre-Henri, Jean-Jacques Cardon, grand spécialiste de la greffe du foie. Pierre-Henri et Jean-Jacques Cardon étaient des amis de longue date, que j’avais connus quand j’étais adolescente.
- Bonjour madame, je vous présente le professeur Bardoit, qui vous a opérée avec succès.
- Bonjour docteur.
- Nous avons une bonne et deux mauvaises nouvelles à vous annoncer, me dit le professeur Bardoit.
- Je vous écoute, docteur.
On ne me l’avait jamais faite, celle là : une bonne et deux mauvaises. Je m’attendais au pire.
- La bonne nouvelle est que l’opération a réussi et que l’artère endommagée est clipée et ne vous fera plus de misères. Tout danger est donc écarté.
Je n’étais pas sûre que cela fût vraiment une bonne nouvelle. Peut-être aurais-je dû mourir, cela aurait résolu tous mes problèmes.
- Et les mauvaises nouvelles ?
- Pendant l’opération, est survenue une paralysie faciale, "a frigore". Elle est parfois causée par un refroidissement important, son origine est inconnue et nous la supposons virale. Et votre volet frontal, droit, s’est effondré, après votre trépanation.
Trépanation, j’avais subi une trépanation ! J’étais pétrifiée, horrifiée par ce mot fatal à mes oreilles de petite fille de médecin !
Le tableau brossé était charmant, mais je ne mesurais pas trop l’impact exact -- sur le moment -- de cette série de catastrophes qui m’atteignaient de plein fouet. La claque magistrale, le seul mot qui m’importait, était la trépanation.
Mon ami Jean-Jacques se pencha pour m’embrasser, après m’avoir adressé une petite phrase sibylline, se voulant rassurante. Mais je devinais de la pitié dans sa voix.
Je dois être joliment amochée !
- Je voudrais être débranchée de tous ces tuyaux, c’est possible ?
- Je vous assure que cela sera fait demain, mais seulement pour une partie. Vous garderez encore quelques jours la pompe à morphine. Vous pourrez demander à l’infirmière de service de vous en séparer entre les heures où elle ne fonctionne pas.
– Je pourrai donc me lever pour aller aux toilettes ? Je ne supporte pas le bassin.
- Vous pourrez vous mouvoir avec la tringle supportant les perfusions. Mais je ne vous conseille pas de vous lever trop tôt. Vous êtes encore très faible, votre équilibre sera instable et votre démarche sera mal assurée.
Cause toujours mon vieux, pensais-je. Dès que la tuyauterie non indispensable aura disparu, je me lève, envers et contre tout ou tous !
Le cortège des médecins, chirurgiens et carabins sortit de ma chambre.
La journée et la nuit suivante ressemblèrent étrangement à la journée et à la nuit précédentes. Pas d’amélioration, de soulagement, si minime fut-il. C’était épuisant, à la longue, cette douleur continue, incontrôlable, incontournable. Pas une minute de répit, sauf, peut-être, pendant les deux premières heures après la prise de morphine ou l’intensité du mal diminuait jusqu’à devenir presque supportable.
Après le petit-déjeuner, l’infirmière -- qui avait assisté à mon réveil, après mon coma – apparaît dans la chambre. Je la reconnais à sa silhouette lourde et courtaude.
- Je viens vous apporter une bonne nouvelle : le petit Joël vient de se réveiller de son coma, comme une fleur. Sa mère en pleure de joie.
- Oh merci, comme c’est gentil à vous !
Elle repart aussitôt et je me dis : enfin un peu de couleur, dans ces sombres journées de malade.
Je décide alors de me lever ce matin là et que rien ni personne ne m’en empêchera. Je sonne l’infirmière pour me défaire de la pompe à morphine. Elle le fait avec réticence. Elle était plutôt bourrue, pas très causante, mais efficace. Son amabilité, si elle en avait, n’était pas très perceptible à l’oreille. Elle devait bien la cacher.
- C’est stupide, vous n’êtes pas encore en état de marcher.
- Je vais essayer. Je veux aller aux toilettes par mes propres moyens, je déteste le bassin !
- Mais il n’y a pas de toilettes dans votre chambre, elles sont en face, dans le couloir. Ce sera trop pénible, dans votre état, de vous y rendre.
Qu’à cela ne tienne, j’irai. J’attends le départ du dragon et m’embarque pour mon périlleux voyage, saisissant mon attirail à roulette de la main gauche et tâtonnant un peu pour effectuer mes premiers pas. Sortir de la chambre ne fut pas trop compliqué, mais naviguer dans le couloir se révèle une autre paire de manches. Je dis naviguer, car cela s’apparente plutôt à de la navigation qu’à de la marche. Le sol est mouvant et passablement incliné, les murs menacent de me tomber dessus. Cela tangue pas mal, autour de moi, dans ce couloir, pourtant étroit, me semble-il. Une traversée à risques s’annonce, empêtrée que je suis par tout le barda que je dois traîner dans mon sillage !
L’infirmière a eu raison, j’ai trop présumé de mes forces. Mon équilibre a disparu. Mais, "alea jacta est", j’ai commencé, je continue !
J’ouvre la première porte en face de ma chambre, légèrement décalée par rapport à notre propre porte. C’est la bonne, coup de chance, une fois n’est pas coutume !
Une fenêtre au fond, à gauche, diffuse une lueur suffisante pour me permettre de me déplacer en chancelant, et en m’appuyant sur tout ce qui se trouve à ma portée : porte serviettes (heureusement robuste et bien ancré dans son support), lavabo, tabouret, chaise et, enfin la poignée de porte des toilettes. Ce fut laborieux, cette séance de pipi-room, quand c’est si simple habituellement. Une station compliquée, dans cet endroit peu spacieux, avec mon attirail.
Je ressors, enfin, de ce réduit exigu et me dirige vers le lavabo pour me laver les mains. En m’approchant au plus près, j’aperçois une espèce de monstre dans le reflet du miroir.
Je me retourne pour voir qui est derrière moi, qui possède visage si ravagé. Il n’y a personne d’autre…que moi. C’est mon propre visage ! Le monstre, c’est moi ! Les cheveux rasés en partie sur l’avant du visage, une balafre sanguinolente qui part du milieu de la figure et va jusqu’à l’oreille droite, la bouche tordue, partant sur le côté, les yeux asymétriques en hauteur, une créature du docteur Frankenstein. Quasimodo était un top modèle, en comparaison !

Mon visage n’avait plus rien d’humain. Ce n’était plus qu’un masque, celui de la dernière grimace de la jolie femme que j’avais été.
Je suis prise de nausées et vomis d’horreur et de dégoût dans le lavabo.
Je répare les dégâts causés, tant bien que mal, en rinçant le lavabo, puis me lave les mains, machinalement.
Je reviens à la chambre, tanguant et chancelant encore plus qu’à l’aller. A mon manque d’équilibre s’ajoute une profonde répulsion et un tremblement incoercible s’empare de mon corps.
Je regagne mon lit, cahin-caha. Et me couche, effondrée, anéantie, par ce coup du sort. J’aurais préféré être morte, plutôt que vivre pareil moment.
Je claque des dents sans pouvoir m’arrêter et ma voisine doit comprendre qu’il se passe quelque chose d’anormal de mon côté.
- Cela ne va pas ?
- Je viens d’apercevoir mon visage dans un miroir. Je suis devenue un monstre !
- Ma pauvre petite ! Vous avez du subir un choc ! Vous retrouverez un visage à votre convenance, mais il vous faudra de la patience et de nombreuses séances de rééducation.

Nous avions été débranchées de la pompe à morphine, ma voisine et moi, pour éviter une accoutumance, néfaste, à ce produit. Nous avions maintenant des produits antidouleur moins puissants et le résultat n’était pas d’une grande efficacité.
Dans ces conditions, il était difficile de dormir, d’avoir un seul bon moment de vrai repos. Et si par le plus heureux des hasards, la fatigue avait raison de nous, nous étions réveillées, aux aurores par une trompe tonitruante. Notre chambre donnait sur une voie de chemin de fer. Des employés de la SNCF travaillaient sur les voies et des surveillants sonnaient de la trompe pour les avertir de l’arrivée imminente d’un train.
Je n’avais jamais connu un hôpital aussi bruyant. La voie de chemin de fer à gauche, les couloirs aux portes qui claquaient, du matin au soir, à droite. Je n’en pouvais plus de fatigue.
La nuit qui suit la suppression de la pompe à morphine, je somnole, quand une envie urgente me prend. La soupe de légumes du dîner, liquide à souhait et servie dans un bol, fait son effet. Pas question de sonner l’infirmière, ni d’utiliser le bassin.
Je me lève avec précaution, pour ne pas réveiller ma voisine. Je récidive dans ma périlleuse traversée du couloir. J’ouvre encore la bonne porte, cherche la lumière. Tout se passe comme la fois précédente, regard dans le miroir en moins, quand je me lave les mains.
Je repère la porte de ma chambre, l’ouvre le plus discrètement possible -- dans le noir le plus total, contrastant avec la lumière crue du couloir -- et me glisse, non sans mal, dans mon lit. Enfer et damnation, ma jambe gauche vient se plaquer sur une autre jambe, qui ne m’appartient nullement et …terriblement velue.
Je me suis, tout simplement, trompée de chambre !
Si l’homme se réveille, je suis mal ! Il va hurler en voyant le monstre qui s’est glissé dans son lit, crier au viol et provoquer une véritable émeute !
Tout l’hôpital va rappliquer et qui croira mon histoire d’erreur de porte !
Je m’extirpe avec les précautions les plus grandes, du lit de mon voisin de chambre, angoissée à l’idée qu’il puisse ouvrir ne serait-ce qu’un œil ! Heureusement, il dort profondément, se mettant même à ronfler. Que ne l’a-t-il fait avant. J’aurais compris mon erreur plus vite, car ma voisine ne ronfle pas.
Ces ronflements me permettent un retrait sécurisé, couvrant le léger bruit de la porte qui s’ouvre.
Dans le couloir, je suis prise d’un fou rire magistral ! Je hoquette et je pleure. J’essaye de me calmer car je vais réveiller tout l’étage. J’entends des pas au fond du couloir et je rentre, le plus rapidement qu’il m’est possible de le faire, dans ma chambre, du moins je l’espère. Cette fois c’est la bonne, je retrouve mon lit. Il n’y a personne d’autre que moi dedans et sur ma table de nuit, je repère à tâtons des objets familiers.
A peine suis-je étendue, que la porte s’ouvre et une infirmière passe la tête. Je fais mine de dormir. Elle repart sans rien dire. Je l’ai échappé belle !
Les nuits sont dangereusement vécues, dans cet hôpital !

Malgré ma peine de me savoir si défigurée et les souffrances dans tout mon corps, je suis reprise d’un fou-rire silencieux. Ma voisine, que je croyais profondément endormie, me demande :
- Vous avez-eu des ennuis ?
- En quelque sorte. Je les ai surtout frôlés de très
très près.
Et je lui conte ma mésaventure. Elle est prise, elle aussi, d’un énorme fou-rire.
- J’imagine la tronche de l’homme singe en vous découvrant dans son lit !
- Il est certain que je lui collais des cauchemars, pour le reste de son séjour, à ce pauvre type !
La porte s’ouvre à nouveau sur l’infirmière :
- Quelque chose ne va pas, mesdames ?
- Tout va bien, répondons-nous à l’unisson, en nous étranglant de rire.
L’infirmière hésite, puis referme la porte sur elle, en ayant esquissé, auparavant, le geste de se vriller la tempe. Elles sont folles, ces deux là, a-t-elle dû penser.


Cette crise de fou-rire fut une des dernières dont j’ai le souvenir. Car je suis restée de longs mois avant de pouvoir retrouver l’envie de rire, ni même de sourire. Ne serait-ce que parce que le sourire ne m’était plus permis, physiquement parlant : cette jolie expression de joie étant devenue une horrible grimace, sur ma face ravagée !

La sortie de l’hôpital s’annonçait. Il n’était pas question que je rentre chez moi, malheureusement. J’allais devoir subir de très longues et pénibles séances de rééducation, dans un établissement spécialisé.
Un premier bilan des dégâts est établi. Je ne produis plus assez de larmes et mes yeux risquent de s’infecter, se retrouvant dans un milieu asséché. La journée, j’allais avoir des gouttes dans les yeux pour compenser cela, mais, la nuit, il me faudrait avoir les yeux collés sous un bandage, par protection. Une nouvelle forme de cécité allait m’être imposée, alors que ma vision était déjà si affectée.
Esthétiquement, mon volet frontal ne se remettrait pas en place, les nerfs de ma joue droite s’étaient rétractés,
Autour de la trépanation, interne ou externe, cela se résorbait plutôt bien. Le clip était en place, solidement fixé sur l’artère antérieure. Quelle bonne nouvelle !

Mon articulation était laborieuse et difficilement audible. J’avais le visage déformé, les yeux de guingois, le nez excentré, la bouche vers l’oreille. Un vrai Picasso !
Je voyais que les gens peinaient à me regarder en face et baissaient les yeux plus souvent qu’il n’était de coutume de le faire !
Mon corps n’était que douleur, le liquide méningé n’étant toujours pas évacué.

Mes amis Bernard, pêcheur spécialiste des bigorneaux et crevettes et Jean-Jacques, médecin à l’hôpital passèrent me voir. Je me retournai face contre l’oreiller, refusant de leur montrer mon visage ravagé. Je sanglotais désespérément en leur disant de partir, que j’aurais dû mourir au lieu de survivre à ce cataclysme qui s’était abattu sur moi.
Ils tentèrent de me raisonner, mais je ne voulais plus rien entendre.

Ma famille ne s’était pas manifestée. J’aurais pu être morte sans recevoir signe de vie de leur part, auparavant ! Ce qui prouve combien je comptais à leurs yeux !
Une de mes amies, que j’aimais beaucoup, débarqua un matin. La veille de mon départ, en fait, pour la maison de rééducation, accompagnée de ma sœur Blandine, qu’elle avait convaincue de l’accompagner. Corvée dont ma sœur se serait bien passée puisqu’elle me croyait toujours une quasi simulatrice. La froideur de Blandine ne m’apporta aucun réconfort et me plongea, bien au contraire, dans le désespoir le plus complet, s’ajoutant à tout ce qui venait de se passer !


Et je n’étais pas encore au bout de mes découvertes !

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dimanche 8 mars 2009

samedi 7 mars 2009

D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap VI – (extraits)

Chapitre VI – (extraits milieu et fin)

Le quatrième jour, je ne fais même plus l’effort de me lever, ni de m’alimenter. Je suis brisée.
Carole arrive en milieu d’après-midi, accompagnée de mon ami Dominique, médecin généraliste. Il rentre, enfin, de régates à l’enjeu national.
Dominique m’examine. Je vois à sa mine -- pour le moins funèbre -- que mon cas est sérieux.
- Dom, dis-moi tout, c’est grave ?
- C’est sérieux. Tu as une hémorragie méningée, au mieux.
- Et au pire ?
- Une rupture d’anévrisme.
- Je dois envisager une issue qui pourrait être fatale ?
- Je ne peux, honnêtement, t’affirmer le contraire.
- Merci Dom. Cela me permet de prendre des précautions importantes et urgentes.
Aussitôt, j’appelle ma sœur, pour lui parler de ce qui m’arrive.
- Prépare maman en douceur. J’aimerais qu’elle aille à la maison auprès de Rodolphe, au cas où…
Ma sœur se met en colère :
- Tu racontes n’importe quoi, tous les prétextes te sont bons pour obliger maman à aller garder ta maison !
J’ai la mort dans l’âme, mais peu d’arguments pour lui prouver le contraire et je n’ajoute rien à cela. C’est trop injuste, mais qu’y puis-je ?
Je prends un léger bagage et suis Dom, qui me conduit à l’hôpital de Lanvion, ville proche de Saint-Guirec, pour des examens préliminaires. Ils confirmeront, ou non, son diagnostic. Je ne me fais aucune illusion : c’est un très bon médecin, il aura raison, totalement raison, au delà de toute espérance !

Arrivée à l’hôpital, je suis prise en charge tout de suite. Foin des préliminaires de la paperasserie, mon cas est considéré comme assez grave pour passer aux examens médicaux, d’emblée.
- Nous allons vous faire un scanner et une ponction lombaire.
- Pour le scanner, il n’y a aucun souci, répondis-je, mais pour la ponction lombaire, j’ai des crises qui tétanisent tout mon corps et quand cela m’arrive, je ne suis plus maîtresse de mes mouvements.
-Rassurez-vous, nous aviserons en conséquence, pour la ponction lombaire.
Le scanner se déroula sans anicroches. Mais il était d’une qualité insuffisante pour un diagnostic précis.
Je suis alors préparée pour la ponction lombaire. Je signale, à nouveau, ce problème de rétraction, de tétanisation de tout mon corps. L’infirmier, qui est présent, me dit que nous allons trouver une solution. Il me propose de s’accrocher à lui, en l’entourant de mes bras, comme il m’entourerait, lui, de la même manière. Ainsi mon corps serait bloqué, immobilisé et je ne risquerais rien, au moment de l’introduction de l’aiguille.
Je me mets donc dans la position prescrite. Et, comme prévu, une crise, comme tétanique, me prend de la manière récurrente dont j’avais l’habitude. L’aiguille est introduite et une souffrance atroce m’envahit. Je n’en étais plus à une sensation de ce genre près, aurait-on pu penser ! Mais si, hélas !
Je suis à nouveau couchée dans un lit de fortune : il y avait affluence aux urgences de l’hôpital.
Une femme médecin s’approche :
- Vous avez bien une hémorragie méningée. Le liquide méningé empoisonne tout votre corps, c’est pour cela que vous avez ces crises de douleur. Le résultat du scanner est moins probant, mais il y a suspicion de rupture d’anévrisme.
- Eh bien je suis gâtée !
- Vous n’avez pas peur ?
- De quoi ? dis-je, de mourir ? Ai-je le choix ?
La femme médecin rougit et ne répond rien, à cela.
- Nous ne sommes pas en mesure de vous soigner, nous n’avons pas le service médical adapté. Où désirez-vous être dirigée, sur Vennes ou sur Grest ?
Grest, je trouve cette ville angoissante, reconstruite à hue et à dia. Mes parents, qui l’avaient connue avant la guerre, m’en avaient fait un portrait si vivant, que je m’y étais rendue : déception terrible. Un tracé de rue au carré, une reconstruction sans âme, une couleur de bâtiment uniformément grise. Pas vraiment ce qu’il faut pour une résurrection ! A Vennes, j’avais un ami médecin, spécialiste de la greffe de foie. Alors, si j’en réchappais, autant choisir cette option.
Va pour Vennes !
Je suis embarquée dans une diligence, pardon dans une ambulance. Pas de première jeunesse. J’étais encastrée dans une espèce de gouttière, étroite en diable, pas confortable pour deux sous.
La conduite est hasardeuse, chaotique, assez peu confortable. La route est mauvaise, j’en paye, directement, les conséquences ! Au-dessus de moi, un support, avec deux flacons de perfusion, en verre, auxquels je suis reliée par intra veineuse. Ces flacons s’entrechoquent, désastreusement.
J’appelle les ambulanciers :
- dites-moi, je veux bien mourir de ce dont on m’accuse -- en l’occurrence une rupture d’anévrisme -- mais j’aimerais arriver sur la table d’opération sans cicatrices au visage !
- Quelles cicatrices ?
- Celles qui ne risqueront pas de se produire si les flacons de verre qui se balancent, dangereusement, et se cognent au-dessus de moi, finissent par éclater sur ma bobine, en s’incrustant, façon squatters !
La compagne de l’ambulancier se glisse jusqu’à moi, entoure les flacons de morceaux de tissu, pour éviter un éclatement.
- Vous avez encore le cœur à plaisanter, avec ce qui vous arrive !
- C’est tout ce qui me reste et je suis née avec un incurable sens de l’humour, quelle que soit la situation dans laquelle je me trouve, tragique ou comique, désolée !
L’ambulancière lève les yeux au ciel. Manifestement j’étais un cas, incompréhensible pour elle.

lundi 23 février 2009

D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap V – (extraits)

Chapitre V – (extraits de début et de fin)

Le lendemain matin, grand bleu, le soleil est éclatant, la mer, au loin, est turquoise. Belle journée pour mes projets de bricolage.
Petit déjeuner bien consistant sur la terrasse. Pauline a sorti tables et chaises.
- Margot, j’irai bien dîner à la Taverne ce soir, qu’en penses-tu ?
- J’en pense, ma chère Pauline, que c’est une excellente idée.
- On appelle Franck et aussi Pierre-Henri, car il est seul ce soir, sa femme et son fils sont à Paris chez une amie.
- Bien sûr Pau, plus on est de fous… Tu te charges de la réservation de la table.
Franck et Pierre-Henri sont de vieux copain, le premier est un célibataire endurci, qui nous emmène souvent à la pêche sur son bateau et le second est dentiste, marié et père d’un charmant jeune garçon, serviable et très bien élevé. Il a une femme qui est un remarquable "cordon bleu" et les dîners chez eux sont de véritables délices pour les "fines gueules".
La taverne, comme son nom l’indique peut-être, est un endroit à l’irlandaise, parfaitement enfumé, bruyant, animé, sombre. Il y a un coin "tables", où se retrouvent les habitués, pour des repas à plat unique, certains soirs, changeant selon l’humeur et l’inspiration du "tavernier chef". C’est plutôt bon, en général et l’endroit est sympathique. On est certain d’y retrouver les amis qui vivent en Bretagne à l’année, où ceux qui y séjournent ponctuellement. C’est un lieu de rendez-vous informel. Cette taverne est située dans une petite bourgade, voisine de Saint-Guirec.

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- Pauline n’est pas avec vous ?
- Elle est là sans l’être, n’est-ce pas Franck.
Franck rit mais ne répond rien.
- Là et pas là, que veux-tu dire ?
- Qu’elle est près de nous, écroulée dans ma voiture et qu’elle a commencé sa nuit !
- Comment cela ?
- Elle a un peu forcé sur le "pastaga", en t’attendant, interfère Franck en souriant.
-Ah bon, alors tant pis pour elle, nous dînons.
Le repas se passe bien, même sans ce "boute en train" de Pauline. Franck a beaucoup de connaissances et Pierre-Henri nous raconte les anecdotes cocasses de son cabinet dentaire.
Ce sont d’agréables compagnons et j’en oublie presque mon mal de tête, à les écouter parler. Plaisanteries habituelles, vieux souvenirs qu’on égrène, le temps passe vite en leur compagnie.
Dessert fini, notre "Tavernier" vient s’asseoir à notre table et me dit qu’une amie me cherche, qu’elle m’attend près de la cheminée, si je veux aller la retrouver.
C’est une fille que j’avais perdue de vue depuis de longues années, sympathique et drôle. J’abandonne un instant les garçons et me dirige vers le fond de la pièce. Elle m’accueille d’un :
- Salut ma vieille, je suis heureuse de te revoir.
Nicole n’a pas changé, toujours aussi chaleureuse. Nous parlons de choses et d’autres, elle de son divorce et de son remariage, moi de mon fils.
Concernant mon propre divorce, je ne tiens pas à aborder cela avec elle, mais elle entre carrément dans le vif du sujet. Force m’est faite d’engager la conversation sur ce thème, de parler de mon ex époux (qu’elle a l’air de connaître mieux que je ne le pensais) et de choses du passé que je tenais à rayer de ma mémoire, ou à ranger dans des cases du cerveau bien hermétiques.
Tout est passé en revue, mon mariage, la naissance et la mort de ma fille, le mal que nous avons eu à avoir un deuxième enfant, la naissance de mon fils, le départ de son père me laissant seule avec mon nouveau-né. Elle sait tout, sur tout, elle raconte à ma place.

Et elle parle et elle parle ! Cela remue en moi des tas de souvenirs enfouis et me bouleverse un peu !
Et tout à coup… c’est le chaos ! Quelque chose a craqué dans ma tête, dans mon corps. Je suis dans le coton, je n’entends plus grand-chose, les bruits sont amortis et me parviennent comme des murmures inaudibles. Je vois la bouche de mon amie articuler des paroles, mais aucun son n’arrive plus à mes oreilles.
Une souffrance fulgurante envahit mon corps, tous mes membres deviennent douloureux. Mon dos est raide, j’ai dû mal à bouger. Chaque mouvement est un effort. J’essaye de murmurer une vague excuse et je fuis mon interlocutrice, pour rejoindre mes amis à notre table.
- Franck, Pierre-Henri, il vient de m’arriver quelque chose de grave. J’ai l’impression que j’ai une hémiplégie, emmenez –moi chez le médecin, je souffre trop.
L’un et l’autre essaye de me rassurer, avec des paroles apaisantes, en vain
-Sortez-moi d’ici, vous dis-je et emmenez-moi chez Dominique. C’est un ami commun qui est médecin généraliste à Saint-Guirec.
Mes deux amis semblent enfin réaliser qu’il m’arrive un "pépin".
Nous partons dans la voiture de Pierre-Henri. Chaque geste est pour moi un véritable calvaire. Marcher, m’asseoir, bouger un bras, un doigt… C’est à chaque fois une douleur effroyable.
Nous arrivons chez Dominique, non à son cabinet, mais à son domicile. Chaque pas sur le sol inégal est un effort terrible pour moi. J’ai l’impression d’être un pantin, désarticulé.
La femme de Dominique, que nous réveillons, nous ouvre, en tenue de nuit et nous dit qu’il est absent, parti pour une régate de trois jours. C’est un passionné de voile, il y consacre tous ses loisirs.
Nous repartons donc et je me déplace tant bien que mal et plutôt très mal que très bien.
Pierre-Henri m’emmène chez le médecin de garde. Avec Franck et lui nous attendons assez longtemps en salle d’attente. Le médecin me fait entrer dans son cabinet, m’examine.
- Ce n’est pas grand-chose, une simple douleur cervicale, une entorse très probablement. Je vous prescris ce qu’il faut et dans un jour ou deux, il n’y paraîtra plus.
Je suis un peu sceptique, à ce sujet, mais c’est lui le médecin, pas moi. Il me faut donc le croire sur parole.
Nous repartons donc, en trio, vers la pharmacie de garde. Je souffre toujours affreusement, à chaque geste, mais me serais fait tuer sur place, plutôt que me plaindre aux garçons. Ils me prendraient pour une douillette. Comment expliquer une douleur pareille !

- Mon Dieu, et Pauline !
Nous nous regardons, atterrés. Elle est enfermée dans ma voiture depuis 9 heures du soir et il est…2 heures du matin !

vendredi 20 février 2009

D’une vie à l’autre ou rupture…(Chapitre II - extraits)

Chapitre II

C’était en 1993, juin 1993. Quinze ans se sont écoulés, déjà ! Je me revois quelques semaines avant l’accident. Alerte, vive, toujours en ébullition, pas le temps de m’arrêter, efficace, bien rodée, mais "spidée, stressée", comme l’on dit dans le jargon du métier. J’étais devenue styliste de publicité, relations publiques, attachée de presse, après avoir été décoratrice et architecte d’intérieur. Le terme de "styliste", en "pub", équivaut à : accessoiriste, pour films ou photos. En quelque sorte, garçon de course de luxe. Bien rémunéré, mais traitement d’esclave, corvéable et taillable à merci, tout le temps de la mission.
Je me gourmandais intérieurement, quelques jours avant le "clash" …
- Et voilà, pensais-je, je viens, une fois de plus, d'accepter de travailler pour trois agences en même temps.
J’étais furieuse contre moi-même, car je ne devais m'en prendre qu'à ma propre bêtise.
- Bougre d’idiote, il fallait refuser !
C'était ma faute, uniquement ma faute ! Je ne pouvais incriminer personne d'autre.
- Mais quand donc apprendrais-je, enfin, à savoir dire "non" ?
- De toute manière, pensais-je en matière de consolation, j'ai besoin d'argent et le seul moyen pour m'en procurer, à ma connaissance, est de travailler, travailler et encore travailler.
Mais, de nuits, quasiment blanches, en semaines, sans un seul jour de repos, je finirai par le payer très cher. Je serai bien avancée si je me retrouve clouée au lit : je suis la locomotive, celle qui tire les wagons. Soutien de famille, je ne peux compter que sur moi-même. Si je tombe malade, je ne pourrai plus travailler. Sans travail plus d'argent et sans argent… je n'ose y songer, prise d'angoisse à cette seule pensée.
Deux décors, des costumes, un film, des photos. Je vais devoir terriblement m'investir, surtout pour l'un de ces deux décors. J'ai affirmé savoir faire de la peinture à l'éponge. C'est malin ! Il va falloir que j'apprenne cette technique, totalement inconnue pour moi. Et très vite encore, si je ne veux pas déchoir aux yeux du client. Il m'a accordé une confiance totale, je ne peux la tromper.
- Mais que diable suis-je allée faire dans cette galère ?
Molière me pardonnera, je l’espère, l’emprunt de sa célèbre phrase, arrangée à ma sauce ! Lui-même l’ayant piquée à Cyrano de Bergerac !

La pub, cet univers impitoya-able ! Pourrait-on chanter. Ce n’est pas Dallas, mais, pas loin.
Dans le milieu de la "pub" on peut rencontrer le summum de la goujaterie, comme dans celui de l’immobilier, peut-être, aussi ! Une anecdote, caractéristique, sur une petite aventure qui m’est arrivée, quelques mois auparavant, illustre bien ces agissements. Agissements qui ne font pas honneur à ceux qui les pratiquent !
Je travaillais assez souvent avec l’acheteuse d’art d’une agence assez cotée. L’achat d’art, en publicité, comme son nom ne l’indique pas vraiment, est le service qui s’occupe d’organiser les photos ou les films. Son rôle -- quand l’idée a été trouvée par les créatifs et la maquette ou le scénario, conçus -- est de se mettre en quête du photographe ou du réalisateur, des mannequins, de la styliste, du lieu ou du studio, pour les prises de vue ou le tournage.
J’avais donc été pressentie, par l’achat d’art, pour le stylisme d’une photo, destinée à la campagne publicitaire d’une grande chaîne de radio nationale. Il fallait vêtir une femme et un homme. Rien de bien sorcier. Le photographe choisi, un suisse vivant aux Etats-Unis, était une "star". Entendez : grosse rétribution, grosses exigences pour son séjour, gros caprices pour tout ce qui concernait son travail et le nôtre, surtout.
Nous avions rendez-vous à l’agence pour un premier contact. J’étais dans la plénitude de la quarantaine tout juste passée, grande, mince comme un fil et on me disait plutôt pas mal.
Je mettais, le plus souvent un pantalon, en studio, par commodité de mouvements. Mais, pour ce rendez-vous, j’étais revêtue d’un collant noir, opaque, sous une jupe de cuir noir, tombant juste au-dessus des genoux, d’une chemise d’homme blanche et d’un court gilet noir, genre gilet de smoking, aux parements, rebrodés ton sur ton. Une large pochette de soie, dans la chemise, apportait une note vive et colorée à l’ensemble ! Elle provenait de la rue du Faubourg Saint-Honoré, aux carrés si connus, petits et grands.
J’affectionnais, particulièrement, ces gilets et en possédais toute une collection. C’est devenu, peu de temps après, très à la mode, mais je l’avais précédée, cette mode. Mes vêtements étaient d’un classicisme sans excentricité, provenant de bons faiseurs.
Dès mon entrée dans la pièce où se tenait la réunion, j’ai vu le regard critique du photographe se poser sur moi, sans indulgence. J’étais cataloguée, d’emblée, dans les "ringardes". Il s’attendait à une minette, habillée dans le "look in", en vogue dans ce milieu. Et, j’avais le tort d’avoir 42 ans et un style … bien à moi !
Histoire sans paroles. Toute l’agence avait compris ce que ressentait le photographe pour la styliste, "has been", qu’on lui avait "collée dans les pattes".
Il me brossa un tableau des exigences qui étaient les siennes, pour le stylisme vestimentaire de la photo. Le "top look" ! Je devais faire les recherches, prendre des polaroïds de ce que j’avais trouvé et lui rapporter le tout à son hôtel, le surlendemain matin, pour qu’il choisisse. Je suis repartie de l’agence la mort dans l’âme, humiliée au plus haut point par tous ces jeunes, ces vieilles et vieux "c...
- Au pied le chien, avait dit le photographe et pas de discussion possible, je n’avais qu’à m’exécuter !
J’appelais toutes les maisons de prêt-à-porter de luxe, souhaitées par l’homme de l’art. Elles étaient de plus en plus réticentes -- ces adresses réputées -- pour louer ou prêter leurs vêtements. Tenant à ne pas ternir leur image de marque, pour des pubs comme le saucisson ou le papier toilette, par exemple. Et elles commençaient même à intenter des procès pour faire respecter l’utilisation de leurs griffes, à leur convenance et non à celle des publicitaires.
Heureusement pour moi, cette radio était tout à fait haut de gamme et je tenais donc une argumentation solide, pour plaider ma cause.
Par l’entremise des attachées de presse que je connaissais, j’appelais les directrices et créatrices de mode et leur expliquais l’attitude de ce butor et de l’agence, envers moi.
Les agences de pub n’étaient plus tellement en odeur de sainteté, à cause des abus commis. Aussi, j’obtins, par chance, gain de cause ; une sorte de complicité, contre l’ennemi, s’étant établie entre nous.
Je fis donc mon choix, pris mes photos polaroids de tous les vêtements qui me semblaient les plus adaptés au désir du photographe, pour ses deux mannequins, homme et femme.
Le lendemain, aux aurores, je retrouvais le photographe à son hôtel avec ma prise. Cet hôtel était … le Ritz, en toute simplicité ! Il l’avait exigé et l’agence n’avait eu qu’à s’exécuter.
Monsieur prenait son petit-déjeuner dans sa chambre. Je le saluais, sans qu’il daignât répondre ni me jeter un regard. Et il regarda les photos, les unes après les autres, en le épluchant soigneusement et en revenant plusieurs fois sur certaines. Il prit un stylo feutre, fit une croix sur les vêtements et accessoires, choisis, et me dit :
- Tout ça.
Laconique la star !
Et m’éconduisit d’un geste, comme un "larbin".
Je ravalai ma salive, gardai mon orgueil dans ma poche en mettant mon mouchoir par-dessus et sortis rapidement de la pièce, en serrant les poings de rage et d’humiliation. Là, j’étais à deux doigts de lui en coller une !
L’agence m’appela, nous avions rendez-vous le soir même, à vingt heures, avec le photographe. Je devais apporter tout mon "stylisme", sans exception.
J’arrivai au rendez-vous, garai ma voiture dans la cour de l’agence et, croulant sous les sacs et les valises, les bras arrachés tellement c’était lourd, je fis plusieurs allées et venues, pour décharger le tout dans la salle de réunion.
Sous le regard à la fois goguenard et méprisant de toute l’assemblée. Pas un geste pour m’aider, de la part de quiconque.
Je déballai le fruit de ma recherche dans toute la pièce. Me vengeant de ce tribunal d’abrutis en envahissant chaque table, bureau, chaise, ce qui obligea ce troupeau de moutons de Panurge à rester debout et à s’entasser un peu.
Et là, miracle ! Il y a pléthore et ce blasé de photographe s’extasie. Il ne s’y attendait pas, à celle là, apparemment. Il n’en revient pas, car il connaît assez les diktats de la mode pour se rendre compte de l’exploit que j’ai accompli, afin d’obtenir tous ces prêts.
Monsieur le photographe rougit, alors, jusqu’à la racine des cheveux, s’avance vers moi et me dit :
- Pardon Margot, j’ai honte de mon attitude. Et merci pour cette magnifique recherche.
Et il m’embrasse, sous le regard ébahi de toute l’agence.
Chose étrange, quand je suis repartie, tout avait été rangé, emballé par l’achat d’art et les créatifs et je ne portais plus rien, ne fut-ce que l’ombre d’une petite ceinture.
Le lendemain, je pavoisais et l’agence était plutôt mal en point à mon égard, car le photographe n’avait de cesse de me faire oublier sa goujaterie des jours précédents. Il me proposa, même, de m’aider à repasser certains vêtements et à vêtir nos mannequins.
J’avais apporté, pour avoir un panel complet, et aussi par sens de l’humour, quelques vêtements "persos", état neuf, glissés parmi les autres.
Le plus cocasse, dans l’histoire, fut que, pendant tout le temps que dura la campagne d’affichage, dans tout Paris et sa banlieue et peut-être même en province, l’agence eut, sous les yeux, l’image du mannequin femme, revêtue d’un collant noir, opaque, sous une jupe de cuir noir, tombant juste au-dessus des genoux, d’une chemise d’homme blanche et d’un court gilet noir, genre gilet de smoking, aux parements, rebrodés ton sur ton. Une large pochette de soie, dans la chemise, apportait une note vive et colorée à l’ensemble !
Car, après avoir fait essayer, au grand complet, la garde robe prêtée -- au mannequin qui n’en pouvait plus d’être habillée, déshabillée rhabillée -- le photographe n’avait, toujours pas, "sa photo".
Il farfouillait, sans être satisfait, quand il avisa une pile de vêtements, trouvés dans une valise, que j’avais posée à l’écart des autres. Comme si je pensais que le contenu n’en valait pas la peine. Et il avait littéralement, "flashé" dessus. Il avait composé, lui-même, cette tenue qu’il trouvait si… "in", sans réaliser qu’il l’avait déjà mémorisée auparavant et classée si…" out" !
Le bémol est qu’il avait trouvé la poche mal placée, pour y mettre la pochette en valeur et qu’il avait découpé un autre emplacement -- mieux situé à son goût -- en plein milieu du plastron gauche, dans ma chemise favorite.

Je l’ai conservée, en souvenir, cette chemise : vanité, tout n’est que vanité, dans ce milieu artificiel !

mercredi 18 février 2009

D'une vie à l'autre ou rupture... (Chapitre I - extraits)

Chapitre I

Souvent, je suis venue seule à la grève, sans y apercevoir âme qui vive. Mais c’est bien la première fois que je l’entends chanter. Ou, plutôt, que j’y entends chanter. Habituellement, les seuls et uniques sons étaient le clapotis des vagues venant s’échouer sur le sable, le murmure cristallin de la mer, quand je fendais l’eau en nageant, le crissement des galets suivant le mouvement de la marée, le cri des mouettes et, parfois, le sifflement du vent dans les rochers.

"La Dona e mobile, qual piuma al vento, muta d'accento, e di pensiero". La musique de Verdi me parvient, s’échappant par la fenêtre d’une villa.

Le soleil est encore vif, pour un mois de septembre. Nous sommes en morte-eau et la mer est proche. Je sors d’un bain "délicieux". Et c’est chose assez rare, sur nos côtes, pour m’en faire la remarque. Je me sens vivifiée, après avoir nagé pendant une bonne demi-heure, en solitaire, avec une délectation sans bornes.

L’eau est vert émeraude, la lumière est magnifique. Et l’air de Rigoletto -- chanté par Luciano Pavarotti -- explose littéralement dans la grève des curés. Dans ce cadre, quel bel hommage au grand Ténor qui s’est éteint hier !

Un vent, léger, vient de la terre. La plage est totalement déserte. Aussi, je ne puis m’empêcher de chanter, en duo, mêlant mon timbre de soprane à celui du ténor. Personne ne m’entendra.

Comme il était d’usage avant de chanter, dans la chorale, je ne me suis pas massé le cou, je n’ai pas remué les épaules en cadence, je n’ai pas fait d’exercices vocaux préparatoires. Donc, tout d’abord, j’y vais doucement, il ne s’agit pas de me casser les cordes vocales. Puis, ma voix s’amplifie, se cale sur celle de monsieur Pavarotti. Un véritable enchantement !

C’est alors qu’une troisième voix se joint aux nôtres. Elle provient de derrière l’énorme bloc de rochers, qui sépare la grève de l’autre plage. Plage dont je n’ai jamais su le nom, d’ailleurs, en 60 ans d’existence. Un autre ténor, bien moins prestigieux, bien sur, mais tout de même !

Interloquée, je m’arrête, mais l’homme invisible continue à suivre le chant et je reprends, malgré moi, de plus belle. Par la fenêtre, la musique s’est tue. Nos chants se sont éteints avec l’arrêt de ce que je suppose être une cassette ou un CD. Je ne vois toujours personne. Je ne cherche pas à connaître l’inconnu. Je pourrais aller vers lui, le passage est possible entre les deux plages, en dehors des grandes marées. Mais je préfère conserver le mystère de cette rencontre vocale. Apparemment, il en est de même pour mon ténor invisible.

J’étais venue sur la grève avec mon appareil de photo numérique, toujours en quête d’images, paysages, animaux ou oiseaux, situations ou personnages curieux. Dans mon sac de plage, un livre en cours de lecture, des mots fléchés, une broderie au point de croix. Je trimballe toujours un tas de trucs, au cas où.

Je pensais rester encore un peu, après le bain. Mais j’ai changé d’avis, finalement. Je me sèche, me rhabille en gardant sur moi mon maillot encore humide, comme d’habitude. Je n’ai pas froid, il fait très doux.

Sac sur l’épaule, je gravis l’étroit sentier, tracé dans la dune et regagne ma voiture d’un bon pas. Etrange moment, unique, et magnifique journée.


J’ai plusieurs passions dans la vie, mais l’écriture et le chant me tiennent particulièrement à cœur. Ils sont étroitement liés, pour moi. J’aime la musique des mots, la rythmique des phrases, la magie du verbe. Notre langue est tellement riche.
Ecrire est pour moi un pur moment de bonheur et mon PC est le confident de mon inspiration. Mais je peux aussi rédiger mes élucubrations n’importe quand, n’importe où, sur un ticket de métro, une enveloppe, un bout de papier, un cahier d’écolier, toujours avec un crayon à papier. J’écris depuis mon enfance, c’est une sorte de seconde nature.

Pour le chant, c’est autre chose. J’ai toujours aimé chanter. Dans ma famille, c’était naturel. Puis je me suis mariée. Mon mari et ma belle-famille ricanaient quand je fredonnais, machinalement. Alors je me suis tue, triste, mais résignée. Définitivement, croyais-je. Mais après un divorce douloureux, et une adaptation progressive à une vie -- quasi normale de nos jours -- de mère sans père pour son enfant, de femme sans mari, j’ai retrouvé l’usage de ma voix. Avec une joie profonde.

J’ai longtemps souhaité entrer dans une chorale, mais le temps a passé… J’ai quand même fini par m’inscrire à la chorale du Conservatoire de ma ville. Le chef de chœur était professionnel, excellent et, de plus, bon pédagogue. J’ai, alors, pris des cours de chant et, là, j’ai compris combien la voix était un bel instrument, fragile, mais magnifique. J’avais du "coffre", une tessiture de soprane, le contre-ut me devint possible. Pendant deux ans, j’ai chanté, en répétitions, en concerts.

Puis notre chef de chœur est parti, remplacé par une femme peu plaisante. Pas le charisme de son prédécesseur. Alors j’ai quitté le conservatoire et n’ai plus utilisé ma voix que pour moi seule, mais toujours avec autant de plaisir. Classique, contemporain, cantiques, gospel, chants de marins, selon l’humeur du moment.
Aussi, ce que je venais de vivre, sur cette grève bretonne, était un instant de réelle félicité.


Je suis revenue le lendemain et un scénario, quasiment identique, s’est déroulé. De la fenêtre m’est parvenu l’air de "Chérubin", dans les noces de Figaro : "voi che sapete"….. J’adore ce morceau. C’était plus fort que moi, j’ai chanté encore une fois. Il n’y avait pas âme qui vive. Même pas de mouettes. Seul le son de la mer roulant de petits galets et… Mozart !

dimanche 15 février 2009

D’UNE VIE A L’AUTRE ou rupture d’anévrisme une bombe dans ma tête (Préface)

Préface

En 1993, j'ai subi un accident vasculaire cérébral, suivi d'un coma et de 3 ans de rééducation, ce qui a coupé ma vie en deux. Certains souvenirs se sont enfuis et j'essaye désespérément de les retrouver.

La pêche aux souvenirs est une tâche difficile, après cette "bombe" dans la tête qu'est la rupture d'anévrisme. J'essaye de recoller, petit à petit, les "lambeaux" de ma vie qui me manquent, pour restaurer l'ensemble en un tout cohérent. Certaines personnes détiennent des morceaux de ce puzzle. Mais elles ne savent pas combien ces petits moments de vie où nous nous sommes croisés sont importants pour moi.

Alors, pour essayer de reconstruire, retrouver les bons souvenirs et laisser les mauvais là où ils ont croisé ma route, j’ai effectué ma propre « recherche du temps perdu ». Et l’écriture de ces pages s’est imposée à moi.

J’ai donc commencé à écrire ces pages quelques mois après mon "accident de parcours", pour me débarrasser d’un poids trop lourd pour moi : celui de mes souffrances !

J’écris depuis que j’ai appris à tenir un crayon et à former des lettres, puis des mots, à l’âge de six ans. A partir de ce moment, l’écriture est devenue, pour moi, une seconde nature. Je ne puis pas plus m’en passer que l’air que je respire. J’écris au crayon à papier, sur tous les supports que j’ai sous la main, feuilles, enveloppes, tickets de transport, etc… liste non exhaustive. Cela me prend n’importe où, à n’importe quel moment. Il m’arrive de me réveiller la nuit pour noter une idée, un cri de colère, écrire une lettre ouverte, un poème.

Ce manuscrit a commencé à prendre forme sur papier, 57 premières pages écrites à la main, au crayon. Puis je les ai recopiées peu à peu en les tapant, laborieusement, à la machine. Je ne me sers que de deux doigts, étonnamment, l’index gauche et le majeur droit. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même. Cela s’est fait d’instinct et installé.

D’abord, j’ai utilisé une bonne vieille machine, comme on en voit dans les films, genre Remington. Il fallait taper comme un sourd sur chaque lettre. Quelquefois, les lettres -- placées en éventail sur des sortes de petits marteaux -- se coinçaient et il fallait démêler tout cela, délicatement. Changer le ruban usagé était une vraie partie de plaisir. On s’en mettait plein les doigts, pour le même prix, d’une encre noire, bleue ou rouge. Le déclic sonore du retour à la ligne accompagnait, musicalement, votre créativité.

Ensuite, j’ai investi dans une machine à marguerite, dite électronique. Plus souple, plus confortable pour le bout des doigts. Il y avait, progrès important, un ruban effaceur, pour réparer les fautes de frappe et une sorte de mémoire de texte, dont je ne savais trop me servir, l’usage m’en étant resté, à ce jour, encore, un mystère. Car les lignes que je cherchais ne réapparaissaient jamais. En revanche, j’avais droit à des sortes de hiéroglyphes, morceaux de phrases, mots épars, dont je n’avais pas souvenir d’en avoir été l’auteur.

Cela, c’était juste avant ma rencontre avec l’informatique. Ce mot, informatique, me parlait d’un monde étranger, venant d’une autre planète : la planète jeunesse ! Je me tenais, résolument, à l’écart de ce progrès -- si c’en était un -- qui n’était pas pour moi, pas de ma génération, pensais-je.

Je n’aurais jamais cru qu’un PC put devenir un ami, un confident, un compagnon des bons et mauvais jours. La rencontre entre un ordinateur et moi, a eu lieu. Rencontre arrangée, pas souhaitée, mais obligée. Pas le coup de foudre, loin de là, mais l’obligation de travailler sur cet engin ! J’ai dû apprendre, peu à peu, à entrer dans ce monde bizarre, qui me faisait peur, aussi inconnu que futuriste. Les clefs m’en semblaient trop ésotériques. Mais, avec la connaissance, la passion est venue. J’ai apprivoisé cela comme le Petit Prince a apprivoisé son renard ou plutôt, comme pour lui, c’est l’inverse qui s’est produit : le PC m’a apprivoisée.

Internet, informatique, tout cela n’a plus trop de secrets pour moi. J’évolue dans ce monde "virtuel" comme chez moi. Pour rien au monde, je ne pourrais me séparer de mon PC. J’en ai deux, portables, un petit taille livre, pour la commodité de déplacements en transports en commun et un grand pour le confort de l’écriture, la mémoire et les différents logiciels dont je me sers avec délice.

Au départ, je me servais d’un ordinateur de bureau. Quand j’ai, enfin, maîtrisé l’informatique, -- du moins suffisamment pour me servir d’un clavier, d’une souris et d’une unité centrale -- j’ai voulu transcrire mes écrits par un traitement de texte plus moderne permettant une certaine flexibilité, comme effacer sans raturer ou et ne pas être obligée de recommencer toute une page de frappe.

Pour ces 57 feuillets que j’avais" pondus", tapés laborieusement sur mes différentes machines, la mise en page laissait vraiment à désirer.

Je n’avais pas rédigé ces lignes en pensant les faire publier. Et puis, un jour, l’idée a fait son chemin, amenée par des circonstances fortuites. Une sorte de challenge en fait. Et c’était parti.

En dehors de ces feuillets écrits noir sur blanc, je portais ce livre en moi. Mais une gestation de 14 ans est un peu trop longue et il me fallait "accoucher" de ce bouquin, une fois pour toute. Le continuer sur sa lancée et y inscrire le mot : fin !

Dans l’art d’écrire, Pierre Tisseyre déclare que l’écriture, c’est 10% de talent et 90% de transpiration. Je dirais, pour ma part -- car je ne transpire pas, même moralement, en écrivant -- qu’il y a 10% de talent, 20% d’imagination (ou de mémoire, c’est selon) et 70% de travail.

Pour les 70% de travail, j’y parviens, sans trop l’angoisse de la page blanche, comme certains. Pour l’imagination ou le souvenir, ils sont présents. Pour le talent, je ne suis pas à même de juger, car je doute de moi. Et chaque relecture rajoute une nouvelle couche d’incertitude sur le bien fondé de mon désir d’édition, car je trouve que ce n’est pas bon du tout.

Mais cette rupture d’anévrisme, c’est une vraie bombe dans la tête. Et les conséquences, sans parler des séquelles, sont très lourdes à porter. Si l’on en réchappe, on peut reprendre une vie "quasi" normale. Mais il faut se battre et, si possible, être entouré de l’amour des siens ! Comme cela n’était pas mon cas, cet entourage affectif, ce cocon tissé autour de quelqu’un qui vient d’échapper à la mort, si je voulais continuer à vivre, il me fallait me libérer du saccage, provoqué dans mon existence, par ce cataclysme. Et le meilleur moyen pour moi, qui refuse les psy, les analyses et tutti quanti, ce fut l’écriture.

Tout ce qui empoisonnait mon existence, depuis ce jour fatal où j’ai "pété" un plomb, toute cette charge de souffrance éprouvée, il fallait que je m’en libère. J’étais, depuis ce jour, comme une cocotte minute, prête à exploser si l’on ne libérait pas la vapeur en excès, par la soupape de sécurité.

Pour moi, ce trop plein de souffrances, morales et physiques, qui m’empoisonnait mes jours et mes nuits, c’était tous ces non-dits, ces choses que je gardais en moi, et plus que tout, ce ressenti de comportement des autres envers moi. Il me fallait m’en libérer. C’était une question de survie. Et d’avoir tout mis noir sur blanc, je respire enfin à pleins poumons et peux continuer à avancer vers ce que le destin me réserve encore !

Et, ce que je souhaite par-dessus tout si suis éditée un jour -- me trompant sur mon manque de talent et en possédant un tout petit peu plus que je ne le pense -- c’est que ces pages deviennent un message d’espoir pour tous ceux qui, comme moi, ont dû se reconstruire, entièrement, autant moralement que physiquement.

Et, parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix que celui-là, passer…d’une vie à l’autre !